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La privatisation détruit le climat

La privatisation détruit le climat

*Publié à l’origine dans un numéro de Canadian Dimension*

Les gouvernements tentent de nous convaincre que la privatisation et les soi-disant partenariats public-privé (PPP) sont des solutions à la crise climatique. Le gouvernement fédéral a même mis en place des institutions pour poursuivre cette situation sans issue, notamment la Banque de l’infrastructure du Canada, l’Agence canadienne d’innovation et d’investissement et le Fonds de croissance du Canada.

Il ne faut surtout pas croire au battage médiatique. Comme le Conseil des Canadiens l’a déjà écrit, les PPP retardent l’action climatique, coûtent plus cher, produisent moins et manquent d’imputabilité. La privatisation n’est pas une solution pour le climat, elle est une injustice climatique.

En voici les six raisons.

Privatisation et émissions vont de pair

Lorsqu’il s’agit des secteurs d’infrastructure à fortes émissions, la privatisation peut entraîner des conséquences désastreuses en ce qui concerne les objectifs climatiques.

Une fois que l’infrastructure est privatisée, il y a une pression toujours plus forte pour se développer et rechercher de plus grands profits.

Les aéroports en sont un excellent exemple. En 2017, l’Administration de l’aéroport international d’Ottawa a partagé un article paru dans le National Observer qui soulevait des inquiétudes quant à la façon dont la « privatisation des aéroports rendra plus difficile pour le gouvernement fédéral de limiter l’expansion des aéroports et du transport aérien » et serait incompatible avec les engagements de Paris pris par le Canada.

De même, la propriété privée des usines de fabrication de voitures et de camions a empêché une transition juste vers des solutions climatiques comme les autobus électriques. C’est pourquoi nous avons soutenu la campagne Green Jobs Oshawa visant à faire passer l’usine de General Motors dans le giron public.

Les PPP et les projets privatisés font passer le profit avant l’intérêt public, l’environnement et le climat. De la même manière que les projets d’eau privatisés ne priorisent pas la conservation de l’eau, les projets en PPP ne feront pas les investissements nécessaires pour limiter les émissions ou garantir qu’ils puissent résister aux phénomènes climatiques.

La privatisation nuit à l’adaptation au climat

Les feux de forêt, les inondations et d’autres événements climatiques extrêmes poussent notre infrastructure jusqu’au point de rupture. Au lieu de rendre nos systèmes plus résilients, les infrastructures privatisées font le contraire.

La compagnie d’électricité privée de Californie, Pacific Gas & Electric, en est un bon exemple. La société a fait la une des journaux internationaux pour avoir coupé l’approvisionnement en électricité à la population alors que les feux de forêt faisaient rage, ce qui signifiait notamment que les gens ne pouvaient pas recharger leurs téléphones portables pour obtenir des mises à jour sur les plans d’évacuation. Il a également été constaté que les pratiques imprudentes de la société avaient déclenché les feux de forêt en premier lieu.

La Climate Justice Alliance souligne que « lorsque l’électricité est coupée en raison de tempêtes, de feux de forêt ou de défaillances du réseau, les sociétés d’électricité privés et les entreprises énergétiques reçoivent un coup de pouce tandis que les gens sont privés de courant » (trad.) D’où l’importance de maintenir les réseaux électriques en tant que services publics.

La privatisation retarde l’action climatique

La construction d’une infrastructure privatisée prend plus de temps que celle d’une infrastructure détenue et exploitée par le secteur public, à un moment où nous devons agir de toute urgence. Même lorsqu’un projet en PPP est « vert », le temps perdu en raison des retards de projet, ce qui est fréquent avec les PPP, est un temps que nous ne pouvons pas nous permettre.

Qui plus est, plusieurs contrats PPP durent des décennies. Autrement dit, même lorsqu’un accord de PPP est problématique pour le climat, une municipalité est probablement bloquée au-delà des échéances critiques d’action climatique de 2030 et 2050, à moins qu’elle ne choisisse de payer des pénalités financières importantes ou de s’embourber dans des litiges coûteux.

Comme le signale le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), les énormes retards dans l’achèvement des projets d’infrastructure en PPP ne sont pas un bogue, ils sont une caractéristique centrale. L’une des raisons courantes de ces retardements est que les consortiums PPP font pression pour que les négociations contractuelles avec les gouvernements locaux soient longues afin de maximiser leurs bénéfices. Nous ne pouvons pas nous permettre de tolérer ce genre de profit au détriment d’une action climatique urgente.

La privatisation est plus dispendieuse et produit moins

À un moment où nous avons besoin de dépenses climatiques rentables, le financement privé est souvent soumis à des taux d’intérêt deux à trois fois plus élevés que les emprunts publics. Les PPP exigent également des financeurs qu’ils fournissent un retour sur investissement à leurs actionnaires, ce qui se traduit par des coûts de projet nettement plus élevés.

Dans un examen de 74 PPP en Ontario en 2014, la vérificatrice générale a conclu qu’ils ont coûté à la province huit milliards de dollars de plus que s’ils avaient fait l’objet d’un marché public. Un rapport similaire du vérificateur général de la Colombie-Britannique a suggéré que les 16 projets en PPP ont coûté à la province près de deux fois plus cher par rapport au financement public.

Les recherches du SCFP montrent que « le recours au financement du secteur privé pourrait plus que doubler le coût total des projets, réduisant ainsi les fonds d’infrastructure disponibles pour la transition écologique » (trad.)

Les milliards de dollars gaspillés dans les PPP qui prétendent apporter des solutions aux problèmes du climat devraient plutôt être consacrés à des projets d’infrastructure publique qui en apportent réellement.

Souvent, l’analyse de rentabilisation des PPP comprend un important montant de « transfert de risque », vraisemblablement parce que le secteur privé assume les risques associés au projet. Cependant, la vérificatrice générale de l’Ontario a signalé que ce facteur de « transfert de risque » dans les projets en PPP est régulièrement gonflé sans preuve, la plupart du temps pour favoriser l’option en PPP.

En bout de ligne, lorsqu’il s’agit de services essentiels comme l’eau, le traitement des eaux usées ou le transport en commun, la communauté et la municipalité assument toujours les conséquences (et les coûts) lorsque les choses tournent mal.

Par exemple, la privatisation du transport en commun revient à ce que les travailleurs(euses) de ce secteur doivent littéralement pousser ou tirer les trains jusqu’à la gare lorsqu’ils tombent en panne, en raison des nombreux coins qui sont coupés ronds par les PPP.

La privatisation creuse les inégalités

Les crises croisées du climat, des inégalités, du racisme, du colonialisme et de la pandémie exigent des solutions interconnectées. Mais, si les réponses sont cloisonnées dans divers services et projets d’infrastructure construits et exploités par différentes sociétés et consortiums, nous nous retrouvons avec des goulots d’étranglement inutiles pour la planification et la prise de décision.

La privatisation exacerbe ces crises interdépendantes. La privatisation est une forme de sauvetage des entreprises qui gaspille les deniers publics, souvent au détriment du climat, tout en remplissant les poches des plus riches et en augmentant les inégalités.

Comme Oxfam l’a souligné, « les 1 % les plus riches de la population mondiale sont responsables de plus du double des émissions de CO2 que la moitié la plus pauvre de l’humanité (environ 3,1 milliards de personnes) pendant une période critique de 25 ans qui a connu une croissance sans précédent d’émissions polluantes ».

Pendant ce temps, la privatisation ne fait que creuser davantage l’écart de richesse entre le 1 % et tous les autres. Dans le but de réduire les coûts et de maximiser les profits, les entreprises privées et les consortiums qui exploitent les PPP essaient souvent de réduire la taille de la main-d’œuvre, de diminuer les salaires, d’instituer des tickets modérateurs et d’éviter les investissements dans l’intérêt public, ce qui se traduit non seulement par une qualité moindre, mais aussi par le délestage des coûts sur les ménages et les communautés.

Les projets en PPP entraînent également une augmentation des tickets modérateurs et, dans le cas des services publics comme l’eau et le transport en commun, les communautés à faible revenu sont les premières touchées. Une étude américaine réalisée par Food and Water Watch souligne que les systèmes d’eau privatisés coûtent plus cher aux usagers.

Les PPP et la privatisation sont des gâchis dont le but est de transférer la richesse des personnes et des communautés à faible revenu vers les 1 %.

La privatisation est antidémocratique

L’influence et le contrôle excessif des entreprises sur les projets d’infrastructure renforce les structures de pouvoir qui nous ont plongé dans la crise climatique en premier lieu. Dans un rapport sur les risques de la privatisation, le Congrès du travail du Canada met en garde que « non seulement cette voie ne parvient pas à suivre le rythme des investissements nécessaires, elle ne garantit pas non plus un accès démocratique et universel à l’énergie, ce qui risque de creuser davantage les inégalités déjà ancrées au sein des nations et entre elles » (trad.)

Caché derrière des contrats confidentiels, le processus de négociation et d’acquisition des PPP se fait à huis clos. Le contrat, une fois signé, prive le public du contrôle des infrastructures et des services pendant plusieurs décennies.

En mars 2018, les conseillers(ères) municipaux d’Ottawa n’ont eu que trois semaines pour examiner leur contrat en PPP pour la deuxième phase du train léger sur rail (TLR) avant de le signer. Ce n’est qu’après coup qu’ils(elles) ont appris que le promoteur retenu n’avait pas obtenu la note technique minimale requise pour le contrat.

En 2011, les résident(e)s de Berlin et les groupes de citoyen(ne)s ont dû faire pression pour qu’un référendum soit tenu pour rendre public le contrat des services d’eau privatisés de la ville avant de le reprendre en main. Il y a beaucoup trop d’exemples de ce genre pour les énumérer ici.

Fonctionnant souvent sous l’égide d’un consortium d’entreprises privées, il est très difficile de tenir qui que ce soit pour responsable des projets en PPP lorsqu’ils dérapent. Les résident(e)s ne peuvent pas faire directement appel ou faire pression sur des consortiums anonymes pour apporter des changements qui affectent directement leur vie quotidienne. En faisant passer le profit avant l’intérêt public, les opérateurs de PPP sont moins susceptibles de faire des investissements ou des mises à niveau pour garantir la sécurité publique, promouvoir la conservation ou assurer l’équité.

Tout cela protège et sert les intérêts des entreprises qui font obstacle à l’action climatique.

La privatisation n’est pas une solution pour le climat, mais la propriété publique l’est

La privatisation est un élément central du capitalisme néolibéral, au même titre que la déréglementation, l’austérité et le soi-disant libre-échange. Bien que les partisan(e)s des politiques néolibérales prétendent que le marché libre nous libérera tous, les preuves du contraire parlent d’elles-mêmes.

Comme Martin Lukacs l’a souligné dans le Guardian, plutôt que de libérer les gens et les communautés, le néolibéralisme a « affranchi les entreprises pour qu’elles accumulent d’énormes profits et traitent l’atmosphère comme un dépotoir ».

Alors que nos gouvernements sont restés les bras croisés et ont attendu que les mécanismes du marché et la bienveillance des entreprises nous sortent de la crise climatique, les émissions mondiales n’ont fait que continuer à monter en flèche. Des décennies de profit incontrôlé des entreprises ne peuvent être la solution à une crise qu’elles ont elles-mêmes créées.

Seuls le secteur public et l’actionnariat communautaire peuvent mener à une transition juste pour se détourner des combustibles fossiles et prioriser les besoins des travailleurs(euses) et de toutes les communautés touchées, avant le profit privé.

Il nous faut une législation sur la transition juste qui crée de nouvelles institutions publiques pour transformer notre économie et étendre la propriété publique des secteurs et services dont nous avons besoin pour décarboniser. Grâce à ces investissements, nous pouvons réaliser la transformation profonde que l’urgence climatique appelle.

Nous pouvons avoir la privatisation ou une transition juste, mais pas les deux. Seule une transition juste, dictée par les travailleurs(euses), les communautés et le secteur public, peut nous sortir de la crise climatique. Tout le reste n’est qu’écoblanchiment.

Dylan Penner est un militant pour le climat et la justice sociale au Conseil des Canadiens. Vous pouvez le suivre sur Twitter à @DylanPenner. Pour en savoir plus sur la campagne en faveur de la transition juste du Conseil, consultez https://conseildescanadiens.org/transitionjuste/.


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