Cet article d’opinion a été publié dans The Tyee le 28 octobre 2021.
Alors que les dirigeants du monde entier se préparent en vue du sommet des Nations unies sur le climat qui se tiendra à Glasgow le mois prochain, notre survie dépend de leur engagement en faveur d’une transition rapide et juste vers une économie durable et décarbonisée.
Nous pouvons facilement nous sentir dépassés par ce à quoi nous sommes confrontés. Mais, l’inspiration peut venir d’endroits improbables.
Lors du sommet sur le climat à Paris en 2015, j’ai écouté le dirigeant du syndicat des travailleurs du pétrole de l’Alberta expliquer pourquoi il plaidait en faveur d’une action climatique ambitieuse.
« Imaginez un peu : vous avez une vie décente, vous travaillez dur, vous élevez votre famille, vous avez une maison à la lisière de la ville et de la forêt », a déclaré Ken Smith à une salle remplie de militants pour le climat venus du monde entier. « Puis un jour, un incendie de forêt se déclare et menace d’embraser votre maison. Vous attrapez tout ce que vous pouvez, à plein bras, et vous fuyez avec votre famille. Le feu vous suit, jusqu’à ce qu’en courant, vous arriviez à une rivière ».
« Vous n’avez que deux choix », poursuit M. Smith. « Périr ou jeter tout ce que vous possédez et traverser à la nage ».
« Ou, si vous vous y étiez pris plus tôt, vous auriez pu construire un pont ».
Quelques mois à peine après avoir prononcé ces mots, M. Smith était de retour chez lui en Alberta pour évacuer sa propre famille, fuyant un incendie épique à Fort McMurray, une réalisation prophétique de son propre avertissement.
Il existe un dicton sur la dynamique du changement. « La transition est assurée. La justice ne l’est pas ».
Sans un plan de transition géré, les travailleurs et les communautés du Canada qui dépendent de l’industrie pétrolière et gazière pour leurs emplois et leurs moyens de subsistance ne sont confrontés qu’aux choix les plus sinistres.
Les travailleurs ont été témoins d’un trop grand nombre de communautés vidées de leur substance et d’emplois mal payés laissés pour compte par les booms et les effondrements du marché ou des accords commerciaux injustes. Les promesses vides ou les demi-mesures ne suffisent pas. Nous avons besoin d’une approche générale qui crée de bons emplois verts et favorise le développement d’une main-d’œuvre inclusive, dirigée par et incluant les travailleurs et les communautés concernés.
Le groupe de travail fédéral sur la Transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes a exposé certains des principes nécessaires pour apporter des changements dans la dignité. Mais, il ne va pas assez loin.
Nous avons besoin d’une législation de transition juste qui s’étende beaucoup plus loin dans la société et l’économie.
S’en remettre aux forces du marché ne suffira pas non plus. En fait, la justice ne se fera pas sans un leadership public fort. Le Canada doit créer de nouvelles institutions économiques publiques et étendre la propriété publique des services publics dans toute l’économie pour mettre en œuvre la transition.
Dans son récent ouvrage intitulé « A Good War: Mobilizing Canada for the Climate Emergency », Seth Klein explique comment, pendant la Seconde Guerre mondiale, ce pays a créé 28 sociétés d’État pour réguler l’économie ou produire le matériel nécessaire à la victoire.
Le Canada a financé cet effort parce que, selon les mots d’un ministre, « si nous perdons la guerre, rien d’autre ne compte ».
Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre la guerre pour notre survie sur cette planète. Il ne fait aucun doute que pour réaliser une transition riche en emplois vers un avenir à faible émission de carbone, il faudra investir du temps et de l’argent.
Mais, il existe des précédents. La société a adopté des réformes radicales pour lutter contre les aliments contaminés, les toxines sur le lieu de travail, l’eau polluée, le travail des enfants et les droits des femmes. Ces « programmes perturbateurs » ont imposé un changement dans les pratiques commerciales dominantes et ont considérablement améliorer notre monde.
La lutte contre la crise climatique exige que l’on adopte une approche encore plus générale. Une législation solide et bien planifiée pour une transition juste doit contribuer à protéger et à renforcer les droits des travailleurs et à les autonomiser dans le processus.
De nouvelles lois pourraient rendre obligatoires des aides financières et des formations pour les personnes touchées par la transition afin de leur permettre de faire la transition entre deux emplois et de préserver le dynamisme économique de leurs communautés.
La planification d’une transition juste peut préserver les emplois bien rémunérés en protégeant les droits des travailleurs à se syndiquer et à avoir une place à la table de négociations lors des changements. Elle peut assurer la justice pour les migrants en garantissant un statut complet et permanent aux travailleurs migrants.
Enfin, elle peut respecter et renforcer les droits, la souveraineté et les connaissances des peuples autochtones en les faisant participer à la planification et à la mise en œuvre de la politique climatique.
Le fait est que chaque lieu de travail sera modifié pour atteindre des normes à faible émission de carbone ou carboneutres. Un « Nouveau pacte vert » signifie qu’il faut veiller à ce que ceux qui ont souvent été laissés de côté dans l’économie existante soient explicitement inclus dans notre avenir durable commun. L’équité en matière d’emploi et les accords sur les avantages pour les collectivités sont des aspects essentiels de ce travail.
Dans sa récente feuille de route pour une transition juste, le Centre canadien de politiques alternatives a défini le rôle central d’une société d’État qui investirait dans de nouvelles infrastructures et contribuerait à accélérer la diversification économique en délaissant les combustibles fossiles.
La propriété publique mettrait l’accent sur l’intérêt public, création d’emplois et pouvoir de la communauté, plutôt que sur les profits des entreprises.
Parallèlement, l’élargissement de la propriété publique de services tels que les transports en commun et l’électricité, ainsi que l’adoption d’une stratégie industrielle pour la fabrication de nouveaux produits verts, peuvent accroître les possibilités d’emploi dans ces secteurs également.
Au début du mois, plus de 50 initiatives locales ont été lancées dans tout le pays afin d’obtenir le soutien de la base populaire pour une transition juste, dans le cadre d’une semaine d’action.
Un autre sondage a révélé que les Canadiens souhaitent que leur gouvernement prenne des mesures plus rapides et plus audacieuses pour faciliter une transition juste alors que nous délaissons les combustibles fossiles.
Ce sont de bons rappels que lorsque les gouvernements sont trop lents ou trop faibles pour agir, et malgré les efforts de puissants adversaires comme le lobby du pétrole et du gaz, les gens n’attendront pas.
Dans les années à venir, le Canada sera mis à l’épreuve par les tempêtes, les sécheresses et les incendies de forêt, ainsi que par notre traitement des réfugiés climatiques.
J’espère que nous serons à la hauteur de cette épreuve.