Cet article a d’abord été publié dans le numéro 2022 de Canadian Perspectives, le magazine annuel du Conseil des Canadiens. Pour lire d’autres articles de ce numéro, cliquez ici.
En mars dernier, un accord sur l’assurance-médicaments entre les libéraux et les néo-démocrates a été annoncé en grande pompe par les deux partis, malgré le manque de détails et d’ambition du dit accord.
Des mois plus tard, les détails restent flous. Bien que le gouvernement se soit engagé à adopter une loi sur l’assurance-médicaments du Canada d’ici la fin de 2023, il a fourni peu de précisions sur la forme qu’elle prendra. L’accord n’est pas, et c’est important, une promesse de mettre en œuvre un régime d’assurance-médicaments. Il s’agit plutôt d’un engagement à « poursuivre les progrès » vers un régime national universel d’assurance-médicaments.
Avec si peu de détails et aucun plan d’action réel sur la manière dont les progrès seront réalisés, la réaction du lobby des grandes sociétés pharmaceutiques du Canada demeure la seule véritable mesure de la force de cet engagement envers l’assurance-médicaments.
Un jour après la signature du nouvel accord, Médicaments novateurs Canada, le plus puissant lobby pharmaceutique du pays, dont l’objectif principal est de retarder, de dissuader et de faire obstruction à l’assurance-médicaments publique universelle, a applaudi le plan.
Pourquoi les grandes sociétés pharmaceutiques ne crient-t-elles pas au meurtre? Parce que l’accord est si vague qu’il ressemble presque à une toile vierge, un canevas sur lequel les sociétés pharmaceutiques sont sans aucun doute désireuses de peindre leur propre version.
En ce qui concerne le lobby pharmaceutique, cela signifie faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la mise en place d’un régime public d’assurance-médicaments.
« Un régime national d’assurance-médicaments doit s’appuyer sur les forces de notre système actuel de marché mixte et viser à améliorer l’accès pour les gens qui en ont le plus besoin : ceux qui ne sont pas assurés ou qui le sont trop peu », a déclaré Pamela Fralick, présidente de MNC, dans un communiqué.
En langage commun, cela signifie conserver notre système disparate tout en jetant quelques miettes aux laissés pour compte, mais ne pas toucher aux prix des médicaments (ni aux bénéfices des grandes sociétés pharmaceutiques).
L’accord entre les libéraux et les néo-démocrates est muet sur la question de savoir si le régime d’assurance-médicaments en cours d’élaboration sera public.
Présentement, plutôt que de bénéficier d’une couverture universelle et à payeur unique pour les médicaments sur ordonnance, les Canadiens ont accès soit à des régimes publics dont les critères d’admissibilité varient avec les provinces, soit à des régimes d’assurance privés qui varient selon l’employeur, l’âge et d’autres facteurs, ou soit à rien du tout.
Il ne faut pas s’étonner que ce système disparate ait trouvé ses plus grands défenseurs dans les industries pharmaceutiques et des assurances. Pendant des années, elles ont injecté des milliards de dollars dans des campagnes de lobbying en faveur d’une approche consistant à « combler les lacunes » en combinant l’assurance publique et l’assurance privée, conscients qu’un régime public d’assurance-médicaments à payeur unique mettrait en péril leurs profits en faisant baisser le prix des médicaments.
Le fait que les annonces du gouvernement ne contiennent aucune promesse explicite de mise en œuvre d’un régime public d’assurance-médicaments devrait être source de grave préoccupation.
Depuis trop longtemps, nos élus jouent au football politique avec l’assurance-médicaments, marquant des points en semblant faire bouger les choses sur sa mise en œuvre. Il n’y a là rien de surprenant. La notion d’assurance-médicaments est très populaire au Canada. Sondage après sondage, elle bénéficie d’un soutien très majoritaire.
Malgré cet appui public, nous avons assisté à des gestes plutôt vides de sens de la part des libéraux fédéraux au pouvoir, dont le soutien au régime fluctue avec peu de progrès réels. Le parti a fait de l’assurance-médicaments un des principaux éléments de la campagne électorale de 2019. Dans son discours du Trône de 2020, le premier ministre a promis « d’accélérer » les progrès en matière d’assurance-médicaments, mais n’a engagé aucune nouvelle dépense dans le plan d’action économique de l’automne suivant. En 2021, les libéraux ont complètement abandonné l’assurance-médicaments dans leur campagne.
Le nouvel accord avec le NPD perpétue cette tradition, ne comprenant qu’une « pantomime d’assurance-médicaments », comme l’a si bien décrit le Dr Nav Persaud, médecin de famille et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice en matière de santé. Le véritable baromètre du succès n’est donc pas l’annonce du mois de mars, mais plutôt la capacité des libéraux à transformer cette danse politique en une véritable course vers la ligne d’arrivée, à savoir un régime national d’assurance-médicaments universel, à payeur unique et public.
Faire passer l’assurance-médicaments du stade de gadget politique à celui de réalité dépendra, en fin de compte, de la volonté de nos élus de cesser de faire des courbettes aux puissants lobbyistes des entreprises. Pour que cela se produise, nous devons faire pression sans relâche sur eux pour qu’ils soient à l’œuvre pour nous.