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Les vaccins : comment le Canada est devenu le vilain

Publié à l’origine dans The Breach, le 2 décembre 2021.

Jusqu’à récemment, personne ne pouvait accuser Justin Trudeau d’être le meilleur ami des grandes pharmaceutiques. 

En fait, l’industrie pharmaceutique entretenait une relation antagoniste avec les libéraux, en raison de la suggestion de M. Trudeau selon laquelle les prix des médicaments étaient peut-être trop élevés et devraient donc être réglementés. L’ambiance entre le gouvernement et l’industrie était qualifiée « d’hostile » par les médias. Les lobbyistes de l’industrie pharmaceutique se sont plaints publiquement que l’engagement des ministres libéraux à leur égard était « superficiel ».

La pandémie a changé la donne.

Les relations entre les grandes pharmaceutiques et le gouvernement Trudeau se sont considérablement réchauffées au cours de l’année écoulée, comme le montre une analyse des registres effectuée par The Breach, le nombre de réunions de lobbying ayant augmenté de 80 %. Le régime d’assurance-médicaments universel de M. Trudeau, que les libéraux semblent avoir abandonné, a été l’une des victimes de cette amitié naissante.

L’influence des grandes pharmaceutiques sur la politique transcende les questions nationales. La capitulation politique de M. Trudeau s’étend jusqu’à Genève, où les représentants commerciaux du Canada à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) bloquent depuis plus d’un an toute avancée sur une proposition visant à lever temporairement les brevets sur les vaccins et autres médicaments essentiels. Les contrats que le gouvernement libéral a signés avec des entreprises ont même, dans un premier temps, interdit au Canada de faire don des doses excédentaires aux pays à faible revenu.

La pandémie fut source d’une manne sans précédent pour Pfizer-BioNTech, Moderna, Johnson & Johnson et AstraZeneca, les principaux producteurs de vaccins qui possèdent un produit dont tout le monde a besoin et qu’ils sont, à quelques exceptions près, les seuls à pouvoir produire. Pfizer et Moderna, en particulier, ont affiché des bénéfices astronomiques et ont fait naître plusieurs nouveaux milliardaires parmi leurs cadres et leurs actionnaires. À l’exception partielle d’AstraZeneca, ils ont évité les canaux multilatéraux établis pour garantir une distribution mondiale équitable des vaccins et se sont concentrés sur la conclusion d’accords bilatéraux secrets. Les pays prêts à payer le prix fort se retrouvent en tête de file, laissant le reste du monde attendre l’aumône.

Ce laissez-faire a donné lieu à une distribution si inégale que le chef de l’Organisation mondiale de la santé l’a qualifié « d’apartheid vaccinal ». Les pays à faible revenu restent bloqués à la case départ, en attente de dons de vaccins qui n’arrivent jamais. (Le Canada a un rendement particulièrement médiocre à cet égard, n’ayant livré que 8 % des 200 millions de doses qu’il s’était engagé à donner). 

Selon la People’s Vaccine Alliance, 73 % de toutes les doses de vaccins sont allées à dix pays seulement, alors que moins de 6 % des Africains ont été vaccinés. Cette inégalité est si extrême que le nombre de rappels administrés par les pays riches est six fois supérieur au nombre total de doses administrées dans les pays à faible revenu. COVAX, l’institution qui devait garantir un accès équitable aux vaccins pour les pays les plus pauvres, a été un échec total. 

« C’est un acte d’accusation moral de l’état de notre monde », a déclaré le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, dans un discours prononcé en septembre. « C’est une obscénité. On a réussi le test de sciences. Mais, nous avons un F en éthique ».

Omicron, une nouvelle variante préoccupante de la COVID-19, fait des ravages et elle a remis en lumière l’inégalité mondiale alarmante à l’accès aux vaccins et le pouvoir détenu par une poignée de sociétés pharmaceutiques.

Les signes immédiats de la part du Canada ne sont pas bons. Le gouvernement fédéral a interdit les vols en provenance d’Afrique australe, mais pas ceux en provenance d’Europe, où certains pays comptent plus de cas d’Omicron que ceux figurant sur la liste des pays interdits. Malgré la volonté croissante des pays de lever les brevets sur les vaccins à l’OMC, le gouvernement Trudeau ne semble toujours pas disposé à le faire.

La voie vers l’équité vaccinale mondiale

Pressentant très tôt que l’hémisphère Sud serait exclue, l’Inde et l’Afrique du Sud ont approché l’OMC en octobre 2020 avec une proposition visant à faciliter la production générique, moins dispendieuse, de vaccins, de produits thérapeutiques et d’autres produits médicaux nécessaires pour lutter contre la COVID-19.
Leur proposition était qu’en suspendant l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) sur ces articles dont on a besoin de toute urgence, d’autres sociétés pharmaceutiques pourraient augmenter l’offre de vaccins et faire baisser les prix. Plus de 120 pays se sont ralliés à la proposition de « dérogation à l’ADPIC ». Mais, pas le Canada.

Pourtant, au cours des premiers mois de la pandémie, la position du Canada sur l’équité en matière de vaccins était censé être claire comme de l’eau de roche. La quête d’un vaccin, si elle aboutit, produirait « un bien public mondial unique au 21e siècle », de dire M. Trudeau en mai 2020, dans une déclaration co-signée avec les dirigeants européens. « Avec nos partenaires,  nous nous engageons à le rendre disponible, accessible et abordable pour tous ».

Deux mois plus tard, M. Trudeau a réitéré sa position dans un article d’opinion du Washington Post signé par huit autres dirigeants mondiaux. « Nous ne pouvons pas permettre que l’accès aux vaccins accroisse les inégalités au sein des pays ou entre eux, qu’ils soient à faible, moyen ou haut revenu… Si la collaboration internationale en termes de ressources, d’expertise et d’expériences est primordiale pour développer un vaccin, le fait de le fabriquer et de le distribuer en ne laissant personne de côté mettra véritablement la coopération mondiale à l’épreuve ».

En réaction à l’appel à une dérogation à l’ADPIC, les grandes pharmaceutiques, principaux producteurs de vaccins, ont lancé une contre-offensive politique à l’échelle du continent sous forme de lobbying et de relations publiques. Bien qu’elles aient reçu des milliards de dollars de deniers publics au stade du développement, sous forme de subventions et d’accords d’achat anticipé de la part des États-Unis et de l’Union européenne, les grandes pharmaceutiques considèrent les vaccins comme leur « propriété intellectuelle » exclusive et elles entendent poursuivre dans cette voie.

Au Canada, les représentants locaux des grandes pharmaceutiques ont fait savoir clairement que la dérogation à l’ADPIC était une ligne rouge que le gouvernement Trudeau ne devrait pas franchir. La voix officielle de l’industrie à Ottawa, Médicaments novateurs Canada (qui représente Pfizer, Johnson & Johnson et AstraZeneca), a prévenu que la suspension temporaire des brevets à l’OMC serait « une étape décevante qui suscitera davantage d’incertitude et d’imprévisibilité » pour l’approvisionnement futur en vaccins.

Comme cela s’est produit dans d’autres pays, les grandes pharmaceutiques ont considérablement intensifié leur lobbying auprès du gouvernement canadien au moment même où l’idée de la dérogation à l’ADPIC émergeait. Au cours de l’année suivante, les lobbyistes embauchés par les grandes pharmaceutiques, producteurs de vaccins, sont entrés en contact avec des politiciens et des hauts fonctionnaires 181 fois au total, soit une moyenne de trois à quatre visites de lobbying par semaine.

« Nous ne pensons pas que la dérogation [aux droits de propriété intellectuelle] est une solution facile aux problèmes de capacité auxquels nous sommes confrontés », a déclaré Cole Pinnow, PDG de Pfizer Canada, devant un comité parlementaire en mars 2021. 

Médicaments novateurs Canada a exercé des pressions auprès d’élus et de fonctionnaires à 55 reprises au cours de la dernière année. Les lobbyistes des géants pharmaceutiques américains Pfizer et Johnson & Johnson (par l’intermédiaire d’une de ses filiales, Janssen Inc.) ont fait 116 visites combinées aux titulaires d’une charge publique désignée au Canada depuis octobre 2020.

L’effort de lobbying de Pfizer a été multiplié par sept par rapport aux années précédentes, tandis que les lobbyistes de Johnson & Johnson ont rencontré des fonctionnaires près de deux fois plus souvent qu’en moyenne entre 2015 et 2019. Les représentants de Moderna et d’AstraZeneca, des entreprises plus petites dont les revenus ne représentent qu’une fraction de ceux de Pfizer, ont néanmoins fait du lobbying auprès des fonctionnaires à cinq reprises entre octobre 2020 et octobre 2021.

Selon les registres, la contestation du monopole des grandes pharmaceutiques sur les vaccins à l’OMC était une préoccupation majeure. Au moins 28 contacts de lobbying ont eu lieu avec des ministres et des bureaucrates de haut niveau responsables de la politique commerciale internationale à l’OMC. Dans son mémoire, Médicaments novateurs Canada, mentionne parmi les sujets abordés [les questions de l’Organisation mondiale du commerce concernant l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce en ce qui a trait à la protection des données, à l’accès aux médicaments et à la « flexibilité » de l’ADPIC »]. Selon les registres, le lobbying de Pfizer auprès des politiciens et des bureaucrates comprenait des discussions « autour de l’examen par l’Organisation mondiale du commerce d’une dérogation à l’ADPIC concernant les brevets ». Bon nombre de ces réunions coïncidaient avec les principaux moments du débat sur la dérogation à l’ADPIC.

Les lobbyistes des grandes pharmaceutiques ont eu accès aux échelons supérieurs du pouvoir politique au Canada, accès qui leur était auparavant difficile à obtenir. Avant la pandémie, les lobbyistes se plaignaient que M. Trudeau et ses principaux ministres s’asseyaient rarement pour discuter avec eux, et que, lorsqu’ils le faisaient, ils ne les écoutaient pas vraiment.  D’octobre 2020 à octobre 2021, le premier ministre Justin Trudeau et la vice-première ministre Chrystia Freeland ont rencontré les représentants des grandes pharmaceutiques à cinq reprises (plus cinq autres réunions avec le principal conseiller de Mme Freeland).

Les lobbyistes des grandes pharmaceutiques ont su reconnaître un ami dans le besoin quand ils en ont vu un et ils ont utilisé leur influence au maximum. Le lancement du vaccin a permis au gouvernement Trudeau « de réaliser rapidement que nous avons maintenant un désir commun de travailler ensemble sur un sujet brûlant », a déclaré M. Pinnow de Pfizer Canada à Maclean’s en février 2021. Les documents contractuels relatifs aux vaccins, lourdement expurgés, révèlent que le Canada a payé une prime très élevée à Pfizer et Moderna pour garantir des livraisons en temps voulu lors de la course initiale aux contrats. Ceux-ci interdisaient au Canada de faire don des doses excédentaires aux pays à faible revenu. Cette cession du contrôle des excédents de vaccins à Pfizer et Moderna, qui ont fourni ensemble plus de 95 % des vaccins du Canada, explique en grande partie le lamentable bilan du Canada en matière de dons.

Le gouvernement Trudeau n’a renégocié pour modifier cette disposition et autoriser les dons que fin octobre 2021. Les dons de vaccins Moderna ont commencé et les dons généraux du Canada ont augmenté depuis la fin du mois d’octobre. Mais, il est difficile d’en suivre l’évolution car le gouvernement n’actualise pas les données de manière fiable.

Faire obstacle au People’s Vaccine

Malgré leurs énormes investissements en matière de lobbying, les grandes pharmaceutiques semblaient sur le point de perdre le contrôle du débat à l’OMC au début de 2021.

L’appel de l’Inde et de l’Afrique du Sud en faveur d’une dérogation à l’ADPIC a reçu un formidable coup de pouce en mai 2021, lorsque les États-Unis ont déclaré de manière inattendue qu’ils étaient favorables à une levée temporaire des brevets. « Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale et les circonstances extraordinaires de la pandémie de COVID-19 exigent que l’on prenne des mesures extraordinaires », a déclaré la représentante américaine au commerce, Katherine Tai, dans un communiqué soutenant une dérogation limitée pour les vaccins. « Nous participerons aux négociations textuelles de l’Organisation mondiale du commerce nécessaires à la réalisation de cet objectif ».

L’annonce a été reçue comme « un coup dur pour l’industrie pharmaceutique », selon Bloomberg News. « Selon des personnes familières de la situation, chez Pfizer, cela a donné lieu à une mêlée, des dirigeants organisant des réunions pour se demander comment la société avait pu être prise au dépourvu ».

La campagne « The People’s Vaccine » prenait de l’ampleur, soutenue par un mouvement croissant de groupes de la société civile et de défenseurs de la santé mondiale tant dans les pays de l’hémisphère Nord que ceux de l’hémisphère Sud. L’annonce de l’administration Biden est intervenue après des mois de pression publique exercée par le sénateur Bernie Sanders et d’autres législateurs. La Nouvelle-Zélande a rapidement emboîté le pas, déclarant peu après son soutien à une dérogation à l’ADPIC.

Interrogé sur cette dérogation lors d’une conférence de presse peu après la décision surprise des États-Unis, Justin Trudeau a affirmé s’en réjouir. Mais, il a refusé de dire si son gouvernement soutenait ou non l’appel à une suspension temporaire des brevets sur les vaccins. M. Trudeau a insisté sur le fait que le Canada n’était pas impliqué dans le blocage des négociations à l’OMC. « Je vous assure que le Canada n’interfère pas ou ne bloque pas. Le Canada s’efforce de trouver une solution qui satisfasse tout le monde », a déclaré M. Trudeau aux journalistes.

Ravi Kanth, du Third World Network a observé que les paroles du Premier ministre ne se reflétaient pas dans les actions des négociateurs commerciaux du Canada à Genève : « Le Canada prétend ne pas être opposé à la dérogation à l’ADPIC. Pourtant, il fait constamment obstacle aux discussions sur ce sujet, notamment en refusant de procéder à des négociations textuelles ». Fait révélateur, le groupe de pression américain PhRMA, qui représente 30 sociétés pharmaceutiques et compte Pfizer et Johnson & Johnson parmi ses membres, a identifié le Canada comme l’un des pays opposés à la dérogation à l’ADPIC dans une lettre adressée au Président Biden en mars 2021.

Dans les coulisses, les fonctionnaires du gouvernement Trudeau responsables de la politique commerciale canadienne à l’OMC faisaient l’objet d’un lobbying intense de la part des représentants des grandes pharmaceutiques. Le 29 avril 2021, des lobbyistes de Pfizer, Johnson & Johnson et Médicaments novateurs Canada ont fait pression sur le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, et sur son conseiller politique au sujet du commerce international et des droits de propriété intellectuelle, juste avant une réunion du Conseil de l’OMC sur l’ADPIC le 30 avril, où les négociations sur la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud étaient à l’ordre du jour. Pfizer a dépêché des lobbyistes auprès de M. Champagne quelques jours plus tard, dans le but probable de limiter les dégâts dans la foulée de l’annonce des États-Unis.

Le ministère de l’Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDÉ) a été un point d’entrée fréquent pour les profiteurs de vaccins. Au sein du cabinet Trudeau, le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, s’est « donné pour mission de reconstruire des ponts avec les grandes pharmaceutiques », selon Konrad Yakabuski du Globe and Mail. Chargé de piloter un ensemble de subventions de 2,2 milliards de dollars pour l’industrie pharmaceutique, ISDÉ était en contact fréquent avec les représentants de l’industrie, selon les registres de lobbying. Le ministre Champagne a rencontré les lobbyistes de Médicaments novateurs Canada, de Pfizer et de Johnson & Johnson à neuf occasions depuis octobre 2020, tandis que des membres hauts placés de son ministère ont rencontré des représentants des grandes pharmaceutiques à quinze reprises.

Après que les États-Unis ont déclaré qu’ils étaient favorables à une dérogation limitée, les fabricants de vaccins se sont mobilisés pour que le gouvernement Trudeau ne suive pas les traces de l’administration Biden. Le lendemain, Médicaments novateurs Canada publiait un communiqué de presse déclarant « ne pas appuyer la dérogation provisoire à l’ADPIC à l’OMC pour les vaccins contre la COVID-19 ». Le groupe de pression de l’industrie a exhorté le Canada à rejeter la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud visant à accroître la production par le biais de la fabrication de produits génériques, suggérant que toute altération de leur monopole pourrait « miner la production de vaccins ou avoir un impact néfaste sur la santé publique ».

La menace voilée de Médicaments novateurs Canada selon laquelle l’approbation d’une dérogation à l’ADPIC à l’OMC pourrait perturber l’approvisionnement en vaccins du Canada a dû être particulièrement déconcertante pour le gouvernement Trudeau. A l’époque, au printemps de cette année, notre effort de vaccination domestique commençait tout juste à s’intensifier, après plusieurs mois de difficultés à assurer un approvisionnement constant à partir de sites de production en Europe. En l’absence d’installations de fabrication nationales pour l’un des quatre principaux producteurs de vaccins, le Canada se trouvait dans une position particulièrement vulnérable.

Pour s’assurer que le message était bien compris, Pfizer et Médicaments novateurs Canada ont chacun fait pression sur la ministre du Commerce international, Mary Ng, et son chef de cabinet le 12 mai. Deux jours plus tard, Médicaments novateurs Canada communiquait avec Steve Verheul, le sous-ministre responsable de la politique commerciale du Canada à l’OMC et autres instances. Les lobbyistes de Pfizer ont fait un suivi avec M. Verheul le 27 mai. Selon le registre des lobbyistes, toutes ces communications avaient trait au commerce international et aux droits de propriété intellectuelle.

À l’OMC, les négociateurs commerciaux canadiens ont souvent fait écho aux points de discussion des grandes pharmaceutiques. Alors que le variant Delta faisait des ravages en Inde et dans d’autres pays, le représentant permanent du Canada auprès de l’organisme basé à Genève arguait qu’une dérogation aux droits de propriété intellectuelle était inutile et que la pénurie de vaccins était due à d’autres facteurs. Les représentants canadiens ont demandé à plusieurs reprises aux pays qui parrainaient la motion de fournir des preuves détaillées de la nécessité d’une dérogation, ce que la délégation sud-africaine a dénoncé comme une « tactique classique  pour gagner du temps ». Après avoir reçu des réponses de l’Afrique du Sud et d’autres pays, le Canada a entamé des processus de négociation parallèles avec l’U.-E., la Norvège et le Royaume-Uni qui ont exclu la question de la dérogation à l’ADPIC.

En raison de ces manœuvres, les discussions de l’OMC sur une dérogation à l’ADPIC s’enlisent depuis plus d’un an. Les grandes pharmaceutiques sont manifestement satisfaites du travail effectué en leur nom. Médicaments novateurs Canada a fait l’éloge de la « collaboration  continue » du gouvernement Trudeau avec l’industrie, déclarant que les responsables commerciaux canadiens « devraient être félicités pour leur travail à l’Organisation mondiale du commerce ».

Le Canada à deux visages

Le fossé évident entre les paroles et les actes du Canada n’est pas passé inaperçu. 

En réaction à l’imposition par le gouvernement Trudeau d’interdiction de vol à la suite de l’identification par l’Afrique du Sud de la variante Omicron la semaine dernière, la haute commissaire sud-africaine au Canada, Sibongiseni Dlamini-Mntambo, a dénoncé le rôle du Canada dans la perpétuation de « l’apartheid vaccinal » et a demandé qu’il cesse son obstructionnisme à l’OMC. « Malheureusement, le Canada fait partie des pays qui ne nous ont pas soutenus [dans la lutte en suspendant temporairement les brevets] », a-t-elle déploré.

Comme l’a déclaré le vice-ministre bolivien, Benjamin Blanco, aux médias canadiens en octobre dernier : «  nous sommes confus. Le Canada dit une chose auprès des organisations multilatérales. Mais, dans la pratique, c’est tout autre ». 

Les interdictions de vol et les autres restrictions liées à la vague actuelle de cas de COVID-19 en Europe ont entraîné l’annulation de la réunion ministérielle de l’OMC prévue de longue date cette semaine à Genève (réunion réclamée il y a une semaine par des groupes de la société civile qui critiquent le rôle du Canada dans le maintien de « l’apartheid vaccinal », à la fois en raison de la nature inéquitable des mesures de prévention de l’infection et de l’absence persistante de progrès sur la dérogation à l’ADPIC). 

En revanche, la proposition d’exemption de l’ADPIC était la question centrale à la table. Les critiques exhortent le Canada et les autres pays récalcitrants à convoquer une réunion d’urgence en ligne du Conseil général de l’OMC pour lever enfin les brevets. 

« Ce dont nous avons besoin, c’est d’une volonté politique », a déclaré le Bolivien Blanco il y a un mois. « Il faut que les gouvernements des pays développés soient capables de faire passer la vie avant les intérêts de quelques sociétés pharmaceutiques transnationales ».

En début de semaine, l’ambassadeur du Canada auprès des Nations Unies, Bob Rae, a déclaré sur tweeter qu’il était favorable à la « renonciation aux brevets » dans le cadre d’un plan de vaccination mondial général. Mais, deux jours plus tard, M. Rae a dû revenir sur ses tweets indiscrets.

Pendant un moment, il a semblé que le Canada pourrait céder à la pression croissante. Mais, rien ne vient indiquer que M. Trudeau tournera le dos aux grandes pharmaceutiques.