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- Les grandes entreprises s’approprient le terme transition juste

Les grandes entreprises s’approprient le terme « transition juste ». Nous ne pouvons pas le permettre.

Le 20 mars 2022, la Banque canadienne impériale de commerce (CIBC), la cinquième plus grande banque du Canada, a publié un épisode sur son balado, douloureusement intitulé « Sustainability Agenda », « Enabling a Just Transition ». L’animatrice Dominique Barker a interviewé Deborah Zandstra et Janet Whitaker de Clifford Chance, un cabinet d’avocats basé à Londres qui se classe parmi les dix plus grands cabinets d’avocats du monde. Comme vous l’avez peut-être deviné, on y discutait de la façon dont les institutions financières peuvent « soutenir [une transition juste] par des activités de financement ».

La notion de « transition juste » est clairement définie. C’est ce que la Climate Justice Alliance appelle « un principe, un processus et une pratique » axés sur les travailleurs et les collectivités, en particulier les communautés racisées et à faible revenu les plus touchées par les injustices économiques et climatiques. Ils ont été conçus à l’origine par des travailleurs, des syndicats et des organisations de justice environnementale. Ce sont les travailleurs du monde entier qui se battent pour une transition juste afin d’éliminer progressivement les industries polluantes, de protéger le bien-être des communautés et de garantir des voies d’accès aux nouvelles industries.

À l’instar d’autres initiatives menées par des entreprises qui adoptent le terme en faisant fi du contenu, le balado de la CIBC était dépourvu de toute analyse de la main-d’œuvre, de la race, de la classe et du sexe qui est à la base d’une transition juste. Autrement dit, il ne s’agissait pas de transition et certainement pas de justice.

Pendant la conversation, Mme Zandstra a affirmé que l’une des plus grandes inquiétudes qu’il y a à ne pas agir sur la transition juste n’est pas, comme on pourrait le penser, un effondrement écologique qui dépasserait de loin la capacité d’adaptation des communautés et de l’humanité. C’est plutôt « une hausse du nombre de litiges ». Le dialogue allie épouvante et absurde. Les trois femmes ont discuté de la menace la plus urgente à laquelle l’humanité n’ait jamais été confrontée comme s’il s’agissait d’un défi commercial intrigant et d’une occasion d’augmenter les profits.

La CIBC n’est pas la seule entreprise, ni même la seule banque, qui cherche à devancer la transition juste dirigée par les travailleurs et les communautés avec un programme qui leur est propre. La Banque de Montréal, la troisième plus grande banque du Canada, a son propre épisode sur son balado sur la transition juste. Suncor, la société énergétique basée à Calgary qui opère dans l’environnement à très forte émission des sables bitumineux, utilise aussi le terme « transition juste » sur son site. Il en va de même pour le Canadian Energy Centre, le soi-disant Centre de crise énergétique de Jason Kenney qui a été créé dans le but explicite de remettre en question les principes qui sous-tendent une véritable transition juste. De plus en plus d’entreprises s’accrochent au terme transition juste tout en se débarrassant de son contenu.

Nous ne pouvons pas être dupes, pas plus que nous pouvons laisser les autres l’être.

Ces entreprises ne parlent pas d’une transition juste pour les travailleurs et les communautés. Elles parlent d’une transition juste pour l’industrie où ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir peuvent les conserver. L’histoire qu’elles racontent n’est possible que dans le cadre du récit culturel de l’industrie des combustibles fossiles, et des structures économiques et sociales d’exploitation que les méga-sociétés continueront à nous faire subir si nous les laissons faire. C’est le genre de récit qui, si on le laisse s’enraciner et se répandre, sapera tout ce pour quoi le Conseil des Canadiens et nos alliés se sont battus et ce que la majorité des Canadiens ont dit  vouloir. Cela retardera les progrès vers une véritable transition juste, peut-être même au-delà du point de non-retour.

Si nous laissons ces entreprises prendre le contrôle de la narration, si nous les laissons restructurer ce qu’est une transition juste pour pourvoir à leurs propres besoins, nous perdrons notre lancée vers un monde qui est équitable et juste pour tous les travailleurs, un monde qui respecte et soutient la souveraineté et le savoir autochtones, où les communautés sont protégées contre les phénomènes climatiques extrêmes et où nous investissons dans les services publics, la formation et les aides à la transition vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre qui fait passer les communautés et non les entreprises, d’abord et avant tout.

En revanche, lorsque les entreprises seront enfin contraintes de procéder aux ajustements rigoureux que nous, et elles, savons qu’ils sont nécessaires pour faire face à la crise climatique, la terre et l’eau se porteront mieux, la biodiversité prospérera, nos infrastructures seront plus durables et nos communautés pourront planifier pour les générations à venir sans craindre de grands bouleversements climatiques.

La transition vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre a déjà commencé. Il s’agit de savoir si elle est au service des gens ou des entreprises.

Les entreprises consacrent d’énormes ressources à l’analyse des tendances et à l’adaptation de leurs opérations pour protéger leurs bénéfices de l’évolution de la dynamique sociale. Le fait que les grandes banques et les grandes sociétés commencent à parler de transition juste signifie qu’elles comprennent qu’une transition vers l’abandon des combustibles fossiles et d’une économie extractive n’est pas seulement possible, elle est inévitable. En fait, elle est déjà en cours.

Selon Ressources naturelles Canada, « une transition énergétique est en cours » et la Régie de l’énergie du Canada affirme que celle-ci « se fait dans plusieurs secteurs de l’économie ». Le changement se produit dans le monde entier et tous, de la société mondiale de conseil en gestion McKinsey au groupe de réflexion australien Lowy Institute, conviennent qu’une transition énergétique n’est pas seulement imminente, mais en cours. Si nous voulons garder le contrôle du récit et assurer une transition juste au service des gens et non des grandes entreprises, nous devons être clairs sur ce qu’est une transition juste et sur ce qu’elle n’est pas.

Une transition juste n’est pas…

  • Des « solutions » basées sur le marché : « les produits et services financiers », l’échange de droits d’émissions, les PPP et autres « solutions » capitalistes ne sont pas des éléments d’une transition juste et elles ne résoudront pas la crise écologique. Elles ne nous rapprochent pas de l’avenir que nous souhaitons et dont nous avons besoin, où les combustibles fossiles restent enfouis dans le sol et où les richesses et les ressources sont distribuées de manière équitable et juste, et non accumulées de façon compulsive par quelques milliardaires.
  • De haut en bas : l’industrie privée ne peut pas dicter une transition juste aux communautés et aux gens. Elle doit être menée par les personnes qui seront les plus touchées.
  • Les solutions techniques telles que la capture du carbone, « le charbon propre » et d’autres fausses solutions comme bloquer le soleil: ces soi-disant « solutions » ne sont rien d’autres que des tentatives désespérées pour maintenir le statu quo, permettant aux entreprises de combustibles fossiles de continuer à injecter du CO2 dans l’atmosphère (et de l’argent dans leurs comptes bancaires) tout en polluant notre eau, notre air et notre sol et sans procéder aux ajustements sérieux de leurs impacts environnementaux nécessaires pour faire face à la crise.
  • Une solution simple : la transition est difficile. Il s’agit d’une restructuration spectaculaire de notre économie et de notre société. Elle exige des efforts d’envergure. Mais, seuls ce genre d’efforts peut garantir un avenir juste et durable. 

Une transition juste… 

  • Est dirigée par les travailleurs et les communautés : elle protège et renforce les droits de la personne et des travailleurs. Elle respecte les droits, la souveraineté et le savoir des peuples autochtones en les incluant dans la création et la mise en œuvre de cette législation. Elle garantit la justice pour les migrants et elle met l’accent sur le soutien aux communautés historiquement marginalisées. Elle crée de bons emplois verts et favorise le développement d’une main-d’œuvre inclusive, dirigée par et incluant les travailleurs et les communautés touchés. Elle garantit un travail décent et à faibles émissions de gaz à effet de serre pour tous les travailleurs.
  • Est transparente, publique et dotée de ressources suffisantes : une transition juste mettra en place des institutions publiques et étendra la propriété publique à travers l’économie pour mettre en œuvre la transition. Les entreprises dictent les termes de la politique climatique à huis clos depuis des décennies. Une transition juste exige plus que des consultations communautaires. Elle exige de transférer le contrôle démocratique aux communautés. Elle exige que les communautés disposent des ressources, financières et autres, nécessaires pour gérer une transition où personne n’est laissé pour compte.
  • Respecte et soutient la souveraineté autochtone : la vision coloniale de la terre et des personnes comme des ressources à utiliser et à jeter pour le profit est ce qui nous a mené là où nous sommes. Une transition juste respecte et honore le droit des peuples autochtones à l’autodétermination et met au centre de ses préoccupations les visions du monde et les écologies autochtones.
  • Est axée sur les communautés historiquement marginalisées et celles à faible revenu : elle protège et renforce les droits de la personne et des travailleurs. Elle respecte les droits, la souveraineté et le savoir des peuples autochtones en les incluant dans la création et la mise en œuvre de cette législation. Elle garantit la justice pour les migrants et elle met l’accent sur le soutien aux communautés historiquement marginalisées. Elle élargit le filet de sécurité sociale grâce à de nouvelles aides au revenu, à des logements sociaux décarbonés et à un financement opérationnel de transports en commun abordables dans tout le pays.
  • Met fin à l’industrie des combustibles fossiles : cela ne devrait pas avoir à être dit, mais c’est pourtant le cas, une transition juste ne peut avoir lieu sans l’élimination progressive des combustibles fossiles et la réduction de l’ensemble des émissions du Canada d’au moins 60 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030. Si cela ne comprend pas laisser les combustibles enfouis dans le sol, ce n’est pas une transition juste.

Les membres, les sections et les alliés du Conseil des Canadiens défendent depuis longtemps une transition vraiment juste. Vous joindrez-vous à nous?


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