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La lutte contre les éclosions de COVID-19 dans les foyers pour personnes âgées exige que les conditions de travail y soient remédiées

Les rapports continuent d’affluer sur les éclosions de COVID-19 dans les foyers de soins de longue durée, les résidences-services et autres maisons de retraite. Plus de 600 maisons de retraite et de foyers de soins infirmiers au Canada ont signalé un nombre croissant d’infections à la COVID-19, le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique étant les plus touchés jusqu’à présent.

Nora Loreto, écrivaine politique et podcastrice au Québec, a suivi là où se produisent les décès dus à la COVID-19. Elle a constaté que plus de 80 % d’entre eux ont eu lieu dans des foyers de soins de longue durée ou d’autres maisons de retraite et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

Il aura fallu une tragédie de grande ampleur pour mettre en lumière ce que les travailleurs de ces établissements disent depuis de nombreuses années, à savoir l’emploi et les conditions de travail mettent les personnes âgées et les travailleurs en danger.

Mark Hancock, président national du Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente plus de 65 000 travailleurs dans les foyers de soins de longue durée, affirme que cette crise est en gestation depuis longtemps. « La dotation en personnel dans le secteur des soins de longue durée est en crise depuis des années. L’industrie prospère en offrant des postes précaires à temps partiel à ses employés, qui sont souvent obligés de travailler dans deux établissements ou plus juste pour joindre les deux bouts. C’est particulièrement vrai dans les foyers privés à but lucratif soucieux de réduire les coûts, comme les avantages sociaux et les congés de maladie, afin d’augmenter leurs profits ».

La Note de politique du CCPA examine de plus près les facteurs qui ont contribué à la crise en Colombie-Britannique. Ce modèle existe dans tout le pays. On peut y lire que « notre système a été affaibli par des décisions politiques prises au début des années 2000 qui ont réduit l’accès et l’admissibilité aux soins financés par l’État, engendré des vulnérabilités et des lacunes qui ont un impact sur les personnes âgées et sur ceux qui s’occupent d’elles et encouragé la réalisation de profits par des pratiques commerciales risquées comme la sous-traitance qui ont sapé les conditions de travail et créé des pénuries de personnel ».

Rationnement des soins

Andrew Longhurst du CCPA de la Colombie-Britannique et de la BC Health Coalition et Kendra Strauss, professeure adjointe à l’Université Simon Fraser, ont dit que la diminution des financements au cours de la dernière décennie a eu un impact significatif.

« La réduction du financement et de l’accès des personnes âgées aux soins financés par l’État depuis le début des années 2000 a entraîné un rationnement des soins, ce qui signifie que l’accès aux soins financés par l’État est limité aux personnes ayant des besoins plus aigus, privant celles ayant des besoins moins complexes de l’accès aux soutiens qui pourraient empêcher la détérioration de leur état et la nécessité d’avoir recours aux soins institutionnels ».

Les gouvernements provinciaux, qui sont responsables des foyers de soins de longue durée, s’efforcent maintenant de résoudre la crise de COVID-19 qui sévit dans ces foyers. L’Ontario et le Québec ont fait appel au personnel médical des Forces armées canadiennes pour prêter main forte aux établissements les plus touchés. L’Ontario a annoncé la semaine dernière qu’elle augmenterait la rémunération de tous les travailleurs des maisons de retraite et de soins de longue durée, ainsi que celle des autres travailleurs de première ligne, une mesure que les autres provinces sont appelées à suivre.

La Colombie-Britannique a agi de manière plus décisive et plus tôt pour mettre en place des mesures. Le gouvernement a tout d’abord créé des règles qui limitent le travail des soignants à un seul établissement et a prévu des pouvoirs d’exécution à cet effet. Le médecin hygiéniste de la Colombie-Britannique a pris le contrôle de la dotation en personnel de tous les foyers de soins de longue durée de la région de Vancouver. Il a offert à ces travailleurs un supplément salarial pour les mettre au diapason des salaires syndicaux et s’est assuré qu’ils avaient accès à des heures de travail à temps plein.

Les travailleurs et les personnes âgées sont à risque

D’autres travailleurs doivent se battre pour obtenir un soutien. Le Toronto Star rapporte que l’Union internationale des employés des services (SEIU) a déposé une demande auprès de la Commission des relations de travail de l’Ontario pour obtenir une aide immédiate afin de « protéger la vie des employés et des résidents », dont une ordonnance pour placer les foyers de soins sous le contrôle direct du ministère de la Santé et des Soins de longue durée.

Le SEIU « allègue plusieurs préoccupations en matière de santé et de sécurité au travail, notamment l’absence de transparence concernant les infections à la COVID-19, une grave pénurie de personnel et d’équipements de protection individuelle à Altamont Care Community, Anson Place et Eatonville Care Center, où se sont produites certaines des plus graves éclosions de la province ».

Selon une déclaration écrite du délégué syndical en chef du SEIU à Eatonville, un établissement où 36 personnes âgées sont déjà décédées, les travailleurs n’ont reçu pour ainsi dire aucune information sur les infections et il y a un manque cruel de personnel.

« Il est impossible d’aplatir la courbe à Eatonville quand une partie du personnel et la moitié des résidents sont infectés, sans qu’on nous dise qui », peut-on lire dans la déclaration.

La crainte de tomber malade

Emily, une travailleuse de soins de longue durée représentée par Unifor, dit avoir peur d’aller travailler. « Aller au travail, l’anxiété qui en découle… je m’occupe des personnes les plus vulnérables avec la peur d’être en contact avec la COVID-19 et, pire encore, de la transmettre à ma famille », dit-elle. Regardez la vidéo d’Unifor « Safer Work, Better Care, Fair Pay for health care workers ».

À la mi-avril, les pires craintes d’Emily se sont concrétisées lorsqu’elle a été testée positive à la COVID-19. « Malgré toutes les précautions que j’ai prises, le virus m’a rattrapée », a déclaré cette Ontarienne de 39 ans, mère de deux fillettes âgées de cinq et neuf ans. « Chaque jour, je surveille mes deux filles pour détecter les symptômes, en priant de ne pas les avoir infectées en leur faisant des câlins et en leur donnant des bisous ».

À l’instar de milliers de travailleurs des soins de longue durée et de soignants qui s’occupent de personnes âgées, elle appelle à des changements.

« Il faut examiner attentivement ce que nos gouvernements auraient pu faire pour protéger les travailleurs de la santé et la communauté en général. Il est temps de changer les choses dans le domaine des soins de santé. Surtout dans les soins de longue durée », a déclaré Emily dans son message vidéo, tourné alors qu’elle était en isolement.

Le président national du SCFP est d’accord : « En fin de compte, il faut reconnaître les soins de longue durée pour ce qu’ils sont, à savoir des soins de santé. Ils doivent être correctement financés et assujettis à des normes claires et cohérentes partout au pays. Les travailleurs qui s’occupent de nos aînés méritent un salaire adéquat et des emplois sûrs, afin que les résidents et les travailleurs puissent vivre en santé, en sécurité et dans la dignité », a déclaré M. Hancock.

Nos gouvernements ont réduit le financement et autorisé la privatisation des soins aux personnes âgées. Des études successives ont révélé que la privatisation est synonyme de moins de soins. Permettre à des sociétés dont l’intérêt premier est le profit des actionnaires de contrôler les décisions relatives aux soins des personnes âgées vulnérables est une erreur. La pandémie de COVID-19 a mis à nu les profondes fissures dans la façon dont nous nous occupons de nos aînés et il faut y remédier.

Ceux d’entre nous dont des membres de la famille résident dans ces établissements ou dont des êtres chers y travaillent attendent avec impatience ces corrections nécessaires. Les aînés et les travailleurs qui s’occupent d’eux méritent mieux.