Cet article a d’abord été publié dans le numéro 2022 de Canadian Perspectives, le magazine annuel du Conseil des Canadiens. Pour lire d’autres articles de ce numéro, cliquez ici.
Les effets des changements climatiques se produisent beaucoup plus rapidement que la plupart des experts ne l’avaient prédit. Des conditions et des phénomènes météorologiques autrefois considérés comme extrêmes ou exceptionnels se produisent avec une fréquence surprenante et ils ont un impact sur tous les aspects de notre vie, notamment nos sources d’eau. Nous devons réduire considérablement nos émissions pour éviter une catastrophe absolue. Mais, même une réduction à zéro du jour au lendemain ne nous sauvera pas des conditions météorologiques extrêmes que les émissions passées ont déclenchées.
Face à une situation aussi accablante, il serait facile de baisser les bras. Ce serait là une décision terrible et déraisonnable. Nous devons redoubler d’efforts pour atténuer les changements climatiques en réduisant nos émissions. Nous devons rendre nos communautés aussi résilientes que possible en protégeant à la fois les infrastructures hydrauliques naturelles (comme les rivières, les lacs, les zones humides, les ceintures de verdure et les zones de recharge des nappes phréatiques) et celles que nous avons construites pour nous approvisionner en eau potable, traiter nos eaux usées et gérer les eaux pluviales.
Les infrastructures que nous avons construites sont devenues extrêmement vulnérables parce que, pendant des décennies, nous n’avons pas investi dans le maintien de leur bon fonctionnement et de leur capacité. Selon la Fédération canadienne des municipalités, le Canada fait face à un déficit de plus de 100 milliards de dollars pour remettre en état et remplacer les infrastructures hydrauliques négligées.
Les répercussions de ce déficit se font déjà sentir. L’année dernière, Iqaluit, la capitale du Nunavut, a dû fermer pendant des mois ses systèmes décrépits de traitement et de distribution de l’eau du robinet en raison d’une infiltration de produits chimiques toxiques. Partout au Canada, les systèmes municipaux d’approvisionnement en eau perdent entre 10 et 40 % de l’eau qu’ils traitent en raison de fuites dans les canalisations. Les infrastructures hydrauliques que nous avons construites seront mises à l’épreuve comme jamais auparavant par des phénomènes météorologiques extrêmes. En août dernier, Iqaluit a déclaré l’état d’urgence en raison de la pire sécheresse en 40 ans. Plusieurs communautés pourraient ne pas être viables si des investissements importants ne sont pas faits immédiatement dans leurs infrastructures hydrauliques vulnérables.
Le déficit considérable des infrastructures est en grande partie dû aux gouvernements néoconservateurs qui ont créé une crise par l’austérité afin de pouvoir insister sur la privatisation de nos actifs publics comme solution. Mais, les rapports successifs des auditeurs indépendants et des comités de surveillance du budget du monde entier ont montré que la privatisation est plus dispendieuse et livre moins à long terme. Les partisans de la privatisation ne cessent d’inventer de nouveaux stratagèmes (ou de renommer les anciens) pour tenter de s’introduire par la ruse dans des secteurs sous contrôle public tels que les infrastructures essentielles, les soins de santé, l’éducation, les services gouvernementaux et plus encore.
Au Canada, le public s’est montré réticent à l’idée de laisser des sociétés privées exercer un monopole évident sur des éléments essentiels comme l’eau potable. De nos jours, au lieu d’une privatisation pure et simple, on affirme à nos municipalités à court d’argent que les partenariats public-privé (PPP) sont la solution pour la remise en état urgente des infrastructures, promettant l’efficacité du secteur privé tout en permettant au public de posséder (éventuellement) l’infrastructure en question. Les PPP prennent de nombreuses formes différentes. Mais, ils ont tous un objectif primordial, à savoir maximiser les profits du secteur privé.
Mettre tous nos œufs dans le mauvais panier
Malgré le bilan peu reluisant des PPP dans le monde, le gouvernement Trudeau continue d’embrasser le concept. En 2017, il a mis sur pied la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) avec une prise en charge fédérale de 35 milliards de dollars destinée à créer et à financer davantage d’accords de PPP entre les gouvernements et le secteur privé. En 2020, la BIC a tenté de lancer un projet pilote de 20 millions de dollars pour financer des infrastructures hydrauliques à Mapleton, en Ontario. Mais, l’accord s’est effondré sous l’examen public généré par le Conseil des Canadiens et le SCFP. À ce jour, la BIC n’a pas pu établir un seul PPP d’infrastructure hydraulique, sans pour autant abandonner.
Plus tôt cette année, le Comité parlementaire chargé d’effectuer un examen quinquennal de la BIC a recommandé de la dissoudre. Nous sommes d’accord. L’argent acheminé par la BIC serait déployé plus efficacement sous forme de simples prêts à faible taux d’intérêt ou de subventions aux municipalités pour remettre en état leurs infrastructures. Ce serait moins coûteux, plus rapide et plus transparent que le gâchis qu’est la BIC. Le gouvernement fédéral l’a compris. En avril, il s’est engagé à verser 214 millions de dollars pour résoudre les problèmes d’infrastructure hydraulique d’Iqaluit au cours des quatre prochaines années. Pas de PPP, pas de délais, pas de dette écrasante pour Iqaluit. C’est de la bonne gouvernance.
Protéger les fondations
Une infrastructure hydraulique robuste et résiliente exige que nous protégions l’infrastructure hydraulique naturelle essentielle qui est à sa base. Cette infrastructure naturelle a toujours été soumise à la pression de l’étalement urbain et du développement industriel. On assiste toutefois à une recrudescence des efforts visant à éliminer les quelques protections existantes au nom du profit à court terme.
En Ontario, le gouvernement Ford a fait un usage sans pareil des décrets ministériels de zonage pour imposer l’expansion destructrice des autoroutes et l’étalement urbain à faible densité. Son gouvernement a supprimé le peu de pouvoir et d’influence qu’avaient les offices de protection de la nature de l’Ontario pour protéger nos rivières et nos plaines inondables, et la ceinture de verdure est constamment menacée par Doug Ford et ses amis promoteurs.
Les choses ne vont guère mieux en Alberta où le gouvernement provincial priorise le développement des mines de charbon plutôt que la protection des rivières qui s’écoulent des montagnes Rocheuses, des rivières déjà profondément touchées par les changements climatiques. L’Alberta veut également drainer le contenu toxique des bassins de résidus de sables bitumineux dans la rivière Athabasca et fait pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il l’autorise au nom de l’industrie des combustibles fossiles.
En Colombie-Britannique, bien que la province ait récemment connu les pires inondations, incendies de forêt, températures extrêmes et sécheresses de son histoire sur une période de quelques mois seulement, le gouvernement provincial continue de dépenser des milliards pour subventionner une activité économique qui détruit l’infrastructure naturelle protégeant les communautés des effets des phénomènes météorologiques extrêmes. La coupe à blanc dans les bassins versants vulnérables, la fracturation pour obtenir plus de gaz naturel, la destruction des vallées fluviales pour construire des barrages hydroélectriques inutiles, tel est le train-train habituel et cela nous rend encore plus vulnérables.
Nous laissons l’infrastructure hydraulique naturelle et celle que nous avons construite « mourir à petit feu ». Ces deux éléments sont essentiels à la santé à long terme de nos collectivités. Les phénomènes météorologiques extrêmes dus aux changements climatiques, comme l’incendie de forêt qui a rasé le village de Lytton, en Colombie-Britannique, l’été dernier, ou la puissante tempête qui a frappé le sud de l’Ontario en mai, faisant dix morts et privant des dizaines de milliers de personnes d’électricité pendant des jours, seront de plus en plus fréquents et nocifs.
Nous pouvons protéger notre eau. Nous pouvons préparer nos infrastructures à mieux résister aux phénomènes météorologiques extrêmes. Construire des transports en commun nous permettra de restaurer les espaces verts. Restaurer des zones humides perdues réduira la pollution et protègera des inondations. Arrêter l’étalement urbain diminuera les émissions tout en préservant notre approvisionnement en eau et en nourriture. Ce sont des mesures que nous pouvons prendre dès maintenant pour atténuer et protéger nos communautés des impacts inévitables des changements climatiques. Ce sont des solutions collectives, des solutions publiques, des solutions ancrées dans notre interdépendance et notre devoir de prendre soin les uns des autres, de l’environnement et de nos biens communs. Il ne faut plus perdre de temps sur de fausses solutions comme la privatisation.