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Décortiquez les ‘solutions’ climatiques

À qui profitent les solutions injustes et préjudiciables?


Voici la deuxième partie de notre série : « Décortiquez les ‘solutions’ climatiques : fausses, réelles ou injustes? »
Lisez la Partie 1 et la Partie 3.


Nous avons tous(toutes) entendu l’adage : « Ce n’est pas ce que vous faites, mais comment vous le faites ».

Dans le premier volet de notre série, nous examinions quelques-unes des fausses solutions les plus populaires proposées par l’industrie pétrolière et gazière, ainsi que par notre gouvernement, pour retarder l’abandon des combustibles fossiles. Dans cet article, nous examinons les solutions proposées pour mettre un terme à notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles, qui sont néanmoins injustes pour les populations et préjudiciables pour la planète.

Nous montrons que les solutions climatiques motivées par le profit privé, la croissance économique illimitée et le mépris des écosystèmes et des communautés ne font que maintenir le statu quo et s’opposent à une transition juste vers l’abandon des combustibles fossiles. Nous devrions plutôt envisager des solutions qui modifient fondamentalement notre relation à la terre et à autrui.

Partenariats public-privé

Les gouvernements présentent depuis longtemps les partenariats public-privé (PPP) comme une solution à la crise climatique. Les PPP sont des collaborations entre les gouvernements et le secteur privé autour du financement, de la conception, de la construction, de l’exploitation ou de la propriété d’installations ou d’infrastructures qui sont par ailleurs conçues pour être des services publics.

En 2016, le gouvernement Trudeau a créé la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) et a chargé cette société d’État indépendante de promouvoir les PPP. Dans le dernier budget fédéral, le gouvernement présente la BIC comme son « principal outil de financement » pour des projets d’électricité propre et d’infrastructures vertes d’une valeur de 20 milliards de dollars sous la forme de PPP.

Le recours au modèle de financement PPP ne peut pas résoudre les problèmes structurels qui sous-tendent la crise climatique, principalement la recherche du profit à tout prix par les entreprises. Les PPP modifient inévitablement l’objectif de l’infrastructure, qui n’est plus un bien public mais une source de profits pour les entreprises chargées de ces projets. Lorsque le profit est la motivation, les entreprises privées ont tendance à rogner sur les coûts. Cela peut se traduire par des tickets modérateurs plus élevés, une prestation et une maintenance des services moins fiables, une dotation en personnel insuffisante, des salaires plus bas et des avantages sociaux réduits. Ces conséquences font que les gens sont moins enclins à utiliser des services tels que les transports en commun et peuvent rendre les services publics tels que l’électricité moins fiables à des moments critiques. Les récentes tentatives d’Ottawa et d’Edmonton visant à étendre leurs réseaux de transport en commun par train léger illustrent clairement la façon dont les PPP coûtent plus cher, offrent moins de résultats, manquent de responsabilité et retardent l’action favorable au climat.

Les PPP ne rendent pas de comptes aux communautés qu’ils sont censés servir. Ils sont négociés à huis clos et confinent généralement les municipalités ou d’autres organismes dans des accords qui durent des décennies. Nos institutions démocratiques n’ont donc aucun contrôle sur le projet une fois le contrat signé, même en cas de retards importants dans le service, des dépassements de coûts ou d’importants impacts sur le climat.

La cause première des crises climatiques et écologiques est, et a toujours été, la cupidité. Prioriser les PPP et le profit dans ce qui devrait être des solutions climatiques publiques, rapides et accessibles, ce n’est pas s’attaquer au problème. 

Projets éoliens et solaires

L’énergie éolienne et l’énergie solaire sont l’épine dorsale de la transition mondiale des combustibles fossiles vers la production d’énergie renouvelable. Toutefois, malgré leur potentiel, nous devons envisager les cas où ces technologies ne sont pas appropriées, en particulier lorsqu’il s’agit de projets à grande échelle ayant de graves répercussions sur les communautés locales et les écosystèmes.

L’énergie éolienne est l’un des moyens les moins dispendieux de produire de l’électricité. Elle bénéficie d’un fort soutien public, d’une faible empreinte carbone et d’un faible impact sur l’environnement. En 2022, elle équivalait à 7 % de l’électricité mondiale, avec une croissance de 1 % par an. La Chine et les États-Unis représentent la majeure partie de la production mondiale de l’énergie éolienne. En raison de la variabilité du vent, il faut prévoir une intégration au réseau à grande échelle et un stockage d’électricité de secours tel que des batteries, des systèmes de pompage-turbinage et de l’hydroélectricité. L’énergie éolienne se marie parfaitement avec la production d’électricité à partir de l’énergie solaire photovoltaïque

À l’instar de l’énergie éolienne, l’énergie solaire est tout aussi bon marché et constitue de loin le moyen de production d’électricité qui connaît la croissance la plus rapide dans le monde. Elle peut être produite par des panneaux photovoltaïques, qui sont très portables et polyvalents, ou par des centrales solaires à concentration, qui canalisent les rayons du soleil et utilisent cette chaleur pour produire de la vapeur, afin d’actionner une turbine qui génère alors de l’électricité.

On ne saurait trop insister sur les possibilités de création d’emplois et de production d’énergie renouvelable qu’offrent les projets éoliens et solaires. Toutefois, ces projets énergétiques peuvent constituer des solutions climatiques injustes s’ils ne tiennent pas compte des préoccupations des communautés locales ou de l’impact sur l’environnement, notamment s’il s’agit de projets de grande envergure. Les projets éoliens et solaires à grande échelle sont souvent menés à la hâte par les gouvernements, avec peu ou pas de transparence ou de consultation dans le processus, ce qui suscite une grande méfiance de la part des communautés locales concernées. Les grands projets priorisent souvent l’exportation, en convertissant l’énergie produite en formats moins respectueux du climat pour en faciliter le transport, comme l’hydrogène ou l’ammoniac. Les projets à petite échelle et communautaires se sont avérés beaucoup plus acceptables.

Le mégaprojet éolien de Port-au-Port, proposé pour la côte ouest de Terre-Neuve, est un exemple typique de la façon dont une solution climatique par ailleurs durable peut être injuste. Toute l’énergie produite dans cette installation sera exportée vers l’Europe au profit d’un homme d’affaires milliardaire alors que les citoyen(ne)s locaux(locales) ont à peine été consulté(e)s et que leurs préoccupations concernant les dommages irréversibles causés à la péninsule écologiquement fragile ont été ignorées. Préoccupé par la gestion de ce projet, le chapitre d’Avalon du Conseil des Canadiens, a demandé au gouvernement fédéral de réaliser sa propre étude d’impact sur l’environnement. Le ministre Steven Guilbeault a décliné cette demande et le projet poursuit sa route dans le cadre du processus provincial d’étude d’impact, où une autre occasion de recueillir les commentaires du public est prévue. La prochaine période de consultation publique sera controversée car les membres de la communauté s’inquiètent toujours de l’impact écologique de ce projet et de l’absence de consultation et d’avantages pour la communauté.

Notre demande croissance en matière d’énergies renouvelables à faible impact doit être équilibrée par la prise en compte des personnes qui vivent dans les communautés et régions concernées, ainsi que par la fourniture d’énergie à la communauté locale (par opposition à l’exportation) et la prise en compte des écosystèmes dans lesquels les projets sont proposés.

Méga barrages hydroélectriques

À première vue, la production d’énergie qui exploite la puissance des éléments naturels de notre planète semble être une bonne idée. Toutefois, dans la pratique, la production d’hydroélectricité par les méga barrages est beaucoup plus compliquée. En effet, ceux-ci ont toujours bafoué les droits des Autochtones et constituent une source importante de GES.

Des méga barrages tels que le site C dans le nord de la Colombie-Britannique et Muskrat Falls au Labrador ont considérablement sapé et attaqué la souveraineté autochtone. Ces mégaprojets ont détruit des terres dont les communautés autochtones dépendent pour leur vie, leurs moyens de subsistance et leurs pratiques culturelles et spirituelles. Nous savons que la souveraineté autochtone est une solution pour le climat (ce qu’aborde la prochaine partie de cette série et que vous pouvez lire ici), et les projets de méga barrages obtiennent rarement, voire jamais, le consentement libre, préalable et éclairé des communautés autochtones qu’ils impactent.

En outre, les méga barrages produisent d’importantes émissions de gaz à effet de serre, notamment celles liées à leur construction et le pourrissement de la végétation dans les réservoirs des barrages. En outre, ils fournissent de l’énergie pour l’extraction de combustibles fossiles, plutôt que pour des usages publics et industriels. 

L’hydroélectricité représente près de 60 % de la production d’électricité au Canada. Mais, les nouveaux méga projets ne constituent pas une solution juste pour le climat. L’hydroélectricité peut certainement être une solution à notre dépendance aux combustibles fossiles. Mais, elle doit être produite d’une manière qui ne porte pas atteinte aux droits des peuples autochtones, ne réduise pas la biodiversité ou ne produise pas d’autres émissions de gaz à effet de serre. 

Véhicules électriques

Selon les données les plus récentes, les transports au Canada sont responsables de 25 % de nos émissions de gaz à effet de serrePlus de la moitié d’entre elles proviennent du transport de passagers(passagères) dont la grande majorité est constitué de voitures personnelles et de camions légers. Il s’agit d’un secteur important dont les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites rapidement dans le cadre d’une transition juste.

Dans le cadre de son Plan de réduction des émissions pour 2030, la stratégie en matière de transport du gouvernement fédéral se concentre presque entièrement sur les véhicules électriques (VE) en encourageant les gens à les acheter, en imposant des objectifs de vente et en soutenant les fabricants. Les VE représentaient 5 % de tous les véhicules vendus au Canada en 2021, un taux qui devrait augmenter rapidement à mesure que de plus en plus de personnes optent pour ces véhicules. Mais, l’achat d’un véhicule électrique est une option coûteuse qui n’est pas à la portée de tout le monde. L’infrastructure de recharge des véhicules électriques est également coûteuse à installer, tant pour les particuliers que pour l’usage public.

Une bien meilleure stratégie climatique consiste à investir dans les transports en commun, et non dans la propriété de véhicules privés, en priorisant des réseaux de transports en commun abordables, à faible émission de carbone, accessibles et rapides, au sein des communautés et entre elles. Le Conseil des Canadiens est fier d’être membre de la coalition « En mouvement pour le transport collectif » et de défendre les transports en commun publics, bien financés, justes et accessibles. Pour en savoir plus sur la coalition, cliquez ici.

Si les transports en commun sont bien financés et abordables, moins de personnes auront besoin d’une voiture, ce qui réduira considérablement les matériaux et la fabrication nécessaire pour maintenir les gens en mouvement. En outre, sur l’ensemble de leur cycle de vie, les réseaux de transport en commun produisent des émissions de gaz à effet de serre inférieures à celles des véhicules privés, même des VE personnels. En outre, le transport en commun présente des avantages plus larges et partagés qui offrent de bonnes occasions de prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre le changement climatique. Par exemple, les villes peuvent moderniser leurs systèmes ferroviaires et leurs flottes de bus pour qu’ils fonctionnent à l’électricité propre plutôt qu’aux combustibles fossiles. Les avantages comprennent également une meilleure qualité de l’air, moins d’espace pour les voitures et moins d’accidents de la route. Réduire l’utilisation de la voiture, en particulier dans les villes, présente plusieurs avantages sociaux.

Marchés du carbone, compensation et système de plafonnement et d’échange

Les marchés du carbone fixent un prix pour les émissions de carbone. L’objectif de cette tarification est d’inciter les industries à but lucratif à réduire leurs émissions afin de maintenir leur compétitivité et de stimuler l’innovation. 

La compensation des émissions de carbone est légèrement différente. Elle permet aux entreprises de compenser leurs émissions de carbone en investissant dans des projets qui réduisent ou éliminent une quantité équivalente d’émissions de l’atmosphère, comme la plantation d’arbres, la sauvegarde des forêts tropicales ou le développement des énergies renouvelables.

Dans le cadre de systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission, les gouvernements fixent un plafond pour les émissions autorisées et permettent ensuite à l’industrie de mener des activités dans le respect de ce plafond grâce à des certificats de droit d’émission. Ceux-ci peuvent être achetés et vendus entre des entreprises qui émettent plus ou moins que leur quota, pour théoriquement s’équilibrer.

Les marchés du carbone, la compensation et l’échange de droit d’émission sont exactement ce qu’ils semblent être, à savoir des solutions à la crise climatique basées sur le marché.Comme nous le savons, ce sont les marchés fondés sur le profit qui nous ont mis dans ce pétrin !

La fixation d’un prix pour le carbone et l’échange de certificats d’émission ou de compensations permet aux entreprises « d’écologiser » leurs activités. Au lieu d’investir dans des mesures de réduction des émissions de carbone sur place, les programmes d’échange et de compensation permettent aux entreprises d’acheter le travail de réduction des émissions de quelqu’un d’autre. Et parfois, ce travail n’a pas vraiment été effectué. Selon un rapport récent publié par le Guardian, 90 % des compensations carbone proposées par le principal organisme de certification au monde ne représentaient pas réellement une réduction des émissions de carbone.

Le plafonnement des GES est une bonne idée. Mais, permettre aux entreprises de continuer à profiter du changement climatique sans apporter de réaménagements mesurables de leurs activités rend ces systèmes injustes. 

Des solutions basées sur la nature

« Les solutions basées sur la nature » font référence à l’utilisation du monde naturel comme moyen de capter et de séquestrer le carbone. Il s’agit notamment de forêts, de zones humides et de certains types de sol et de végétation.

L’utilisation du monde naturel pour faire face à la crise climatique semble être une bonne idée sur le papier. Mais, Indigenous Climate Action résume très bien le problème que posent les solutions basées sur la nature : « Au cours du siècle dernier, les gouvernements et les industries coloniales ont cherché à s’approprier nos terres pour en extraire le pétrole et les minerais et y abattre des arbres. Aujourd’hui, ils recherchent nos terres pour stocker la pollution par carbone que ces processus ont créée pour faire face à la crise climatique dont ils sont responsables ».

En général, les « solutions basées sur la nature » sont conçues pour travailler avec et non contre la nature. Cependant, elles vont souvent directement à l’encontre des communautés autochtones et de leurs terres. Les peuples autochtones protègent 80 % de la biodiversité mondiale. Mais, tel que noté par Indigenous Climate Action, plusieurs solutions basées sur la nature découlent de la conception occidentale de la conservation qui repose sur la séparation et l’exclusion des êtres humains des espaces naturels. Repousser les personnes qui comprennent et protègent la biodiversité hors des terres qu’elles gèrent n’est pas une solution pour le climat, c’est contribuer aux crises climatique et écologique.

Un exemple de cette situation, tel que discuté dans le nouveau rapport d’Indigenous Climate Action sur les solutions basées sur la nature, est le « green-grabbing », c’est-à-dire là où les programmes de conservation et de plantation ont restreint l’accès des peuples autochtones à leurs terres et ressources traditionnelles. Dans plusieurs cas, dont certains ont été documentés par Pesticide Action Network Asia Pacific, les accaparements de terres au nom de « solutions basées sur la nature » ont chassé les populations autochtones et rurales de leurs terres et ont entraîné des arrestations et des décès. La création de parcs nationaux qui excluent les peuples autochtones de la pratique de leur culture et de leur gestion des terres dans ces zones en est un exemple classique.

Les « solutions basées sur la nature » se heurtent au même problème que le commerce et la compensation du carbone, à savoir confier aux entreprises qui ont détruit la terre et l’eau le soin de s’attaquer à la crise climatique. Cela ne fait qu’ouvrir de nouvelles voies aux profits et au vol des terres et des ressources par ces mêmes entreprises. Prenons par exemple les efforts de Syncrude, qui a dépensé des millions de dollars pour créer ce qu’elle appelle « la plus grande zone de forêts boréales protégée au monde ». Une récente étude de cas réalisée par Indigenous Climate Action montre que Syncrude a utilisé des crédits de compensation carbone en achetant indirectement les droits d’extraction de bois des Premières nations de Tallcree dans la région de Birch River pour justifier l’accroissement de ses activités industrielles.

Comme l’explique Indigenous Climate Action, la résolution de la crise climatique passe par la guérison de notre relation avec notre mère la Terre et avec les créatures et les écosystèmes avec lesquels nous partageons cette planète. La lutte contre le changement climatique nécessitera un changement de mentalité, afin de faire preuve de leadership et d’écouter les personnes qui gèrent cette terre depuis des temps immémoriaux. La marchandisation accrue du monde naturel n’est pas une solution juste pour le climat. Au contraire, c’est ce qui nous a mis dans cette situation en premier lieu. 

En résumé

Lorsque nous nous demandons qui ces solutions injustes servent, la réponse est claire : chacune de ces solutions fait une fois de plus passer le profit avant les besoins des personnes, des communautés et de la planète. Pour que la transition énergétique soit vraiment juste, nous devons modifier nos hypothèses sous-jacentes et prioriser les solutions qui profitent aux gens et à nos relations mutuelles ainsi qu’à la planète.

Jusqu’à présent, notre série a exploré les solutions fausses et injustes. Dans notre prochain article, nous examinerons les vraies solutions nécessaires pour construire un avenir juste et vivable dans le cadre de la lutte contre la crise climatique. 


Voici la deuxième partie de notre série : « Décortiquez les ‘solutions’ climatiques : fausses, réelles ou injustes? »
Lisez la Partie 1 et la Partie 3.


David Ellis
David défend l’environnement et la justice sociale depuis les années 1970 au Royaume-Uni. Sa carrière a été très variée, notamment enseignant à l’école et à l’université, ingénieur en informatique, homéopathe, professeur de taiji, constructeur, graphiste et, depuis qu’il s’est installé au Canada en 2009, propriétaire d’un café/restaurant végétarien dans la campagne de Terre-Neuve, qu’il gère avec sa femme sous la forme d’une entreprise sociale. Il est directeur des opérations d’une association locale de logement dont l’objectif est de construire des unités de cohabitation abordables dans sa communauté. Il est coprésident du chapitre Avalon/T.-N.-L. du Conseil des Canadiens.

Chris Kruszewski
Chris est chargé de campagnes pour le climat et la justice sociale au Conseil des Canadiens.