Cet article a d’abord été publié dans le numéro 2023 de Canadian Perspectives, le magazine annuel du Conseil des Canadiens. Pour lire d’autres articles de ce numéro, cliquez ici.
Ces deux dernières années, nous avons submergé le Parlement d’initiatives de soutien en faveur d’une transition juste.
Des dizaines de député(e)s ont déposé notre pétition appelant à une transition juste. Des milliers de personnes ont écrit au gouvernement. Le Conseil a participé à des journées d’action aux côtés de ses alliés, d’où des manifestations dans des dizaines de communautés d’un bout à l’autre du pays. Plusieurs syndicats et organisations se sont mobilisés de multiples façons pour exiger une transition juste. Grâce à nos efforts collectifs, nous avons contraint le gouvernement à présenter une législation pertinente il y a quelques mois. C’est une victoire.
Mais, le travail reste inachevé. Même si la législation sur une transition juste constitue un objectif essentiel de notre mouvement collectif pour une justice climatique transformatrice, ce projet de loi est bien trop timide pour le réaliser.
Au moment où j’écris ces mots, des feux de forêt d’une ampleur record continuent de faire rage d’un océan à l’autre, enveloppant nos communautés de fumée toxique. Il est de plus en plus difficile de nier l’urgence de cette crise et la nécessité d’adopter des politiques audacieuses et transformatrices en matière de climat et d’énergie.
Pour faire face à cette réalité, il nous faut rêver en grand et nous mobiliser en grand.
La Loi sur les emplois durables : deux pas en avant, un pas en arrière
Depuis des années, le gouvernement Trudeau s’engage à présenter un projet de loi visant à soutenir une transition juste des combustibles fossiles vers une économie verte. La Loi sur les emplois durables promet de remplir ce mandat. Mais, sa portée, son ambition et son sentiment d’urgence sont loin d’être suffisants.
Le projet de loi, qui aurait dû être connu sous le nom de Loi sur une transition juste, si le gouvernement n’était pas revenu sur sa promesse, évite toute mention d’une transition juste. Il confie la responsabilité de la loi à un ministre fédéral déjà en place, sans créer de ministère à part entière de la transition juste dont nous avons urgemment besoin.
Le projet de loi charge également un Secrétariat de coordonner le Plan d’action pour les emplois durables et propose la mise sur pied d’un Conseil de partenariat pour les emplois durables chargé de conseiller les ministres fédéraux concernés sur l’évolution de la législation, une fois celle-ci adoptée. Ces dispositions pourraient contribuer à assurer la participation des travailleurs(travailleuses) et des communautés à la prise de décision entourant une transition juste. Mais, elles manquent de détails importants et pourraient comporter des écueils majeurs. Par exemple, le gouvernement fédéral inclura-t-il les PDG de l’industrie des combustibles fossiles au Conseil de partenariat? Il est grand temps de retirer les rênes des politiques en matière de climat et d’emploi des mains des PDG et des milliardaires et de confier la prise de décision aux travailleurs(travailleuses) et aux communautés.
Le projet de loi fait un geste en faveur de l’inclusion et encourage « les possibilités d’emploi pour les groupes sous-représentés sur le marché du travail, notamment les femmes, les personnes en situation de handicap, les peuples autochtones, les personnes noires et autres personnes racisées, les personnes 2SLGBTQIA+ et d’autres groupes en quête d’équité ». Mais, il n’y a pas de détail sur la manière dont un tel plan serait mis en œuvre. Les droits des Autochtones et ceux des personnes en situation de handicap sont mentionnés, quoique dans le préambule du projet de loi plutôt que dans les articles qui définissent l’action du gouvernement.
Même si le préambule mentionne que le Canada a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, on n’y mentionne nullement le droit des peuples autochtones à un consentement libre, préalable et éclairé quant aux projets sur leurs territoires, même si ce droit a été explicitement énoncé dans le cadre du « Plan pour les emplois durables » intérimaire que le gouvernement a publié en février.
Le projet de loi se distingue aussi par l’absence d’un plan clair de transition économique vers une économie post-carbone, sans parler d’une économie juste. On ne sait toujours pas quand et comment les bons emplois verts proposés par le gouvernement se concrétiseront.
Sans surprise, le gouvernement fédéral présente de fausses solutions climatiques comme des « occasions », notamment les minéraux essentiels, l’hydrogène, le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC) et les petits réacteurs modulaires (PRM). Investir dans de fausses solutions permet de soutenir l’industrie des combustibles fossiles et de retarder une véritable transition vers la décarbonisation, ce qui nuit à tout le monde, y compris aux travailleurs(travailleuses) du secteur des combustibles fossiles.
L’inclusion de ces « solutions » est une faille dans le projet de loi, assez grande pour permettre la construction de plusieurs pipelines.
Le projet de loi n’aborde pas les mécanismes régionaux et sectoriels qui garantiraient que les principales sources d’émissions, telles que la production et la distribution des denrées alimentaires, le logement et les bâtiments, ainsi que les transports, soient incluses dans les plans de transition créateurs d’emplois.
En outre, le projet de loi s’en tient au plan déficient du gouvernement visant à réduire les émissions de 40 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030 et à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, cet objectif servant d’écran de fumée pour dissimuler le fait que l’on n’atteindra pas véritablement la carboneutralité. Selon les calculs du Climate Action Network, un objectif de réduction des émissions « équitable » permettrait au Canada de diminuer ses émissions d’au moins 60 % d’ici 2030 et de grandement contribuer à la réduction des émissions dans les pays de l’hémisphère Sud.
Il est temps de redoubler d’efforts
En dépit de ses limites, la Loi sur les emplois durables montre que nos efforts de mobilisation portent fruit. Grâce au travail acharné du mouvement syndical, des Autochtones, des défenseur(e)s de la justice pour les migrant(e)s, des défenseur(e)s de l’environnement et d’autres groupes alliés, le projet de loi est beaucoup plus solide qu’il ne l’aurait été autrement.
Ignorer nos voix et nos revendications est désormais impossible.
Nous ne pouvons pas permettre au gouvernement de se contenter d’une législation inadéquate qui ne fait que suggérer un changement sans proposer de plan concret ou de vision audacieuse pour y parvenir. Nous ne pouvons pas permettre au gouvernement de coopter et d’édulcorer nos revendications, nous privant ainsi de notre pouvoir et de notre élan. Nous devons plutôt nous organiser de manière à renforcer la puissance de notre mouvement.
Tout d’abord, nous pouvons encore faire pression pour que des améliorations soient apportées au projet de loi au cours du processus parlementaire.
Tout au long de l’été, bon nombre d’entre vous se sont joint(e)s à nous pour faire équipe avec 350 Canada afin de soutenir les organisateurs(trices) locaux(locales) qui exercent des pressions sur leurs député(e)s d’un bout à l’autre du pays. Des gens comme vous ont demandé à leurs député(e)s s’ils(si elles) soutiendraient le niveau d’ambition nécessaire dans la législation sur une transition juste, au-delà des miettes offertes jusqu’à présent.
Ensemble, nous devons poursuivre sur cette lancée en maintenant la pression sur les député(e)s à l’automne, lorsque le projet de loi sera débattu à la Chambre des communes. Nous devons mobiliser un plus grand nombre de gens dans nos communautés pour entrer en contact avec les député(e)s et leur demander de veiller à ce que le projet de loi soit amendé de manière à favoriser une transition juste au lieu de servir de véhicule aux profits des PDG des grandes pétrolières.
Nous devons porter notre attention au-delà de ce projet de loi insuffisant. Nous devons voir à ce que le gouvernement tienne parole. M. Trudeau a promis une loi sur la transition juste et son gouvernement a clairement indiqué que la Loi sur les emplois durables n’en était pas une.
Nous devons faire pression en faveur d’une transition juste et complète et de l’ensemble des changements systémiques nécessaires pour résoudre la crise. Nous devons veiller à ce que cela se fasse de manière que tous(toutes) les travailleurs(travailleuses) et communautés concerné(e)s bénéficient d’un soutien.
Nous devons intensifier la pression politique en faveur d’une transition juste et de la justice climatique jusqu’à ce que nos voix l’emportent sur l’influence omniprésente et indue des PDG des grandes pétrolières sur les politiques fédérales en matière de climat.
Il ne tient qu’à nous que ce gouvernement mette enfin en œuvre une transition juste. Nous l’avons déjà fait bouger, il ne nous reste plus qu’à lui faire franchir la ligne d’arrivée.
Pour en savoir plus : conseildescanadiens.org/transitionjuste/