Le 30 juillet 2020, le gouvernement de l’Ontario a discrètement publié une étude sur la dotation en personnel dans le secteur des soins de longue durée. Le rapport initié par le gouvernement reconnaît « l’importance cruciale de la dotation en personnel dans les foyers de soins de longue durée ». Il y est affirmé que le gouvernement doit « s’attaquer d’urgence à la crise de la dotation en personnel des soins de longue durée, faire des foyers de soins de longue durée un meilleur endroit où vivre et travailler, mettre en œuvre des approches en matière de dotation en personnel qui reflètent et répondent à la complexité du secteur et aux divers besoins des résidents ».
L’étude a été réalisée dans le contexte de la pandémie de COVID-19 qui, à ce jour, a tué plus de 1 800 personnes âgées dans des foyers de soins de longue durée en Ontario et plus de 9 000 dans l’ensemble du Canada, selon les données compilées par la journaliste indépendante Nora Loreto.
Les éclosions se poursuivent
Les éclosions de COVID-19 se poursuivent, la plus récente étant celle dans la Villa West End d’Ottawa où plus de 60 personnes ont contracté la maladie et où 11 sont décédées. Santé publique Ottawa a récemment ordonné que l’Hôpital d’Ottawa prenne en charge la gestion du foyer de soins de longue durée, ainsi qu’un autre qui appartient à la société à but lucratif Extendicare pour tenter de contenir les récentes éclosions.
La pénurie de personnel a été citée comme l’un des principaux facteurs contribuant au nombre élevé de décès dans les foyers de soins de longue durée, une crise qui a été identifiée bien avant l’apparition de la COVID-19 au Canada.
Avec autant de vies perdues et plus encore dans la balance à l’approche d’une seconde vague de COVID-19, la santé et la sécurité des résidents et des travailleurs dans les foyers de soins de longue durée doivent être une priorité absolue pour le gouvernement Ford. Mais, ce n’est pas le cas.
En début de semaine, trois syndicats, à savoir le SCFP, le SEIU et Unifor, qui représentent les travailleurs des soins de longue durée ont tenu une conférence de presse pour demander pourquoi le gouvernement Ford n’a pas donné suite à son propre rapport. Près de deux mois se sont écoulés et la crise du personnel se poursuit.
Le gouvernement Ford a également institué une « commission publique » sur les décès tragiques dans les foyers de soins de longue durée. Mais, ce n’est pas très public puisqu’aucune date d’audience publique n’a été fixée ni même évoquée.
Lors de la conférence de presse, les préposés aux services au soutien de la personne (PSSP) ont parlé du stress lié à leur travail, un stress vieux de plusieurs années, du manque de temps pour s’occuper correctement des résidents et du fait qu’ils sont toujours à la hâte.
Vient désormais s’ajouter la crainte de voir les résidents mourir, de contracter eux-mêmes la COVID-19 et d’infecter d’autres personnes, y compris les membres de leurs familles. En conséquence, beaucoup quittent ces postes précaires, souvent à temps partiel.
Pour contrôler l’infection, des mesures telles que le lavage fréquent des mains et le changement d’équipement de protection individuelle (s’il leur a été fourni) ont été ajoutées à leur charge de travail déjà impossible. Plusieurs travailleurs ont évoqué la crainte de représailles de la part de leurs employeurs s’ils devaient en parler.
Des conditions de travail terrifiantes
Jen Cloutier, une PSSP qui travaille dans un foyer de soins de longue durée à Windsor, a retenu ses larmes en parlant de ses conditions de travail.
« Travailler pendant la pandémie est terrifiant, épuisant, émotionnel. Et vous présenter au travail tous les jours pour voir vos résidents mourir? C’est une façon horrible de travailler », a-t-elle déclaré. « Nous n’étions que trois ou quatre employés sur une période de quatre heures. Comment trois ou quatre employés peuvent-ils maintenir les résidents en vie alors que je travaille 20 heures par jour et que je n’ai même pas le temps de m’hydrater ou de me nourrir? Des dépressions, des vomissements dans les voitures et les vestiaires sont choses courantes, au quotidien, dans mon foyer (de soins de longue durée) et j’en suis sûre dans plusieurs autres ».
Une coalition de parties prenantes du secteur des soins de longue durée a récemment écrit au premier ministre provincial Ford pour l’avertir qu’ils ne sont pas équipés pour faire face à une deuxième vague de COVID-19. Depuis juin, elles demandent à la province de les aider à remédier aux pénuries de personnel et aux lacunes en matière de prévention et de contrôle des infections dans les foyers de soins de longue durée. Mais, rien n’a été fait.
Le gouvernement Ford a été appelé par les travailleurs des soins de longue durée, par les familles des résidents des foyers de soins de longue durée, par les militaires et même par son propre groupe de travail d’étude à agir de toute urgence, ce qu’il n’a pas fait.
Heureusement, il y a une lueur d’espoir.
Dans le discours du Trône d’hier, le gouvernement Trudeau a reconnu que « l’une des plus grandes tragédies de cette pandémie est la perte de vies dans les foyers de soins de longue durée. Les personnes âgées méritent de vivre en sécurité, dans le respect et dans la dignité ».
Le gouvernement Trudeau s’est engagé à collaborer avec les provinces et les territoires et à « pénaliser explicitement ceux qui négligent les personnes âgées dont ils ont la charge, les mettant ainsi en danger ».
Plus important encore, il a promis de « coopérer avec les provinces et les territoires à l’établissement de nouvelles normes nationales en matière de soins de longue durée afin que les aînés reçoivent le meilleur soutien possible » et « d’examiner d’autres mesures ciblées pour les préposés aux services de soutien à la personne qui dispensent un service essentiel aux personnes les plus vulnérables de nos communautés. Le Canada doit mieux valoriser leur travail et leur contribution à notre société ».
Ces nouvelles normes nationales en matière de soins de longue durée doivent signifier un minimum de quatre heures de soins par résident. Il faut nous doter d’un mécanisme qui supprime les éléments de motivation en ce qui concerne réaliser des profits dans le secteur des soins de longue durée, en particulier lorsqu’il est prouvé que les gens sont plus susceptibles de contracter la COVID-19 et d’en mourir dans des foyers de soins de longue durée à but lucratif.
Nous devons travailler ensemble d’un océan à l’autre pour optimiser les soins de longue durée pour tous. Il s’agit d’une crise nationale qui nécessite notre attention au niveau national. Il nous appartient à nous tous de faire en sorte que le gouvernement Trudeau tienne ses promesses.
Mise à jour
Le lundi 28 septembre, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a annoncé qu’il consacrera 52,5 millions de dollars pour ajouter 3 700 travailleurs dans ses hôpitaux et ses foyers de soins de longue durée, confirmant ainsi que la province se trouve dans une deuxième vague de COVID-19. Le gouvernement offre des primes à la signature à 2 000 travailleurs s’ils s’engagent à travailler dans le système de soins de longue durée pendant les six prochains mois. Dans un tweet, le premier ministre provincial Ford a déclaré : « Nous avons besoin de plus de PSSP ! »
Oui, monsieur le premier ministre provincial Ford, c’est ce que votre étude gouvernementale révélait il y a de cela deux mois. C’est ce que les travailleurs du secteur des soins de longue durée disent haut et fort depuis des années, bien avant l’apparition de la COVID-19 au Canada. C’est ce que les militaires ont confirmé lorsqu’ils sont entrés dans des foyers de soins de longue durées en mai dernier. Pourquoi ne les avez-vous pas écoutés?
Maintenez la pression et signez la pétition du Conseil demandant au gouvernement fédéral de mettre les foyers de soins de longue durée dans le domaine public, de mettre en place une stratégie coordonnée en matière de soins aux aînés dans toutes les provinces et tous les territoires et de veiller à ce que tous les travailleurs des soins de longue durée disposent de tout le soutien, des outils et de l’équipement dont ils ont besoin.